Jean-François Soussana, l’agriculture devra s’adapter à la sécheresse

24 mai 2011 - La rédaction 
Les agriculteurs commencent à s'accommoder de conditions de cultures plus chaudes et plus sèches, comme le montre l'avancement de certaines dates de semis. Mais cela ne suffira pas. A moyen terme, il faudra surtout gérer les surfaces par rapport à leurs potentiels de conservation de l'eau et envisager des changements d'espèces et de variétés. Entretien avec Jean-François Soussana, directeur scientifique environnement à l'Inra.

Campagnes et environnement : Quelle est la spécificité de la sécheresse qui touche ce printemps la France ?
Jean-François Soussana : C'est une sécheresse essentiellement édaphique, c'est-à-dire que ses effets se font sentir sur les sols et la végétation qui y pousse. A la sortie de l'hiver, les sols étaient beaucoup plus secs qu'à la même époque l'an passé. Ainsi la moitié nord de la France connaissait fin avril des niveaux de sécheresse des sols superficiels jamais atteints au cours des cinquante dernières années. Pour réalimenter les sols, il faudrait des pluies importantes et continues dès le mois de juin.
C&E : Faites-vous un lien avec le réchauffement climatique ?
J.-F.S. : On ne peut pas faire ce lien pour l'instant d'autant que le feuilleton n'est pas encore terminé. Les analyses seront effectuées dans quelques mois. Ce n'est qu'un an après, par exemple, que nous avions pu prouver que la sécheresse de 2003 s'inscrivait bien dans une phase de réchauffement climatique. Ceci dit, les modèles d'évolution du climat prévoient une augmentation significative de la fréquence des épisodes de sécheresse et de canicule à l'horizon 2100. On s'attend au cours du siècle à une augmentation générale des températures de 2 à 5 °C avec des écarts de plus en plus importants d'un jour à l'autre et d'une saison à l'autre. La pluviométrie va également changer. Là où il pleut déjà beaucoup, il pleuvra encore plus. Et là où il ne pleut pas beaucoup, il pleuvra encore moins.
C&E : Que sait-on des effets du changement climatique sur les cultures ?
J.-F.S. : L'analyse du réchauffement climatique fait intervenir des notions de moyennes, de variabilité et d'extrêmes. On peut d'ores et déjà prévoir que certains effets seront positifs et d'autres négatifs. Côté positif, l'augmentation de la teneur en CO2 de l'atmosphère pourrait accroître les rendements de certaines cultures comme les céréales d'hiver et les fourrages de l'ordre de 10 à 15%. Mais cet effet positif disparaîtrait avec des températures extrêmes qui dépasseraient les 30 à 35°C. Côté négatif également : une hausse du CO2 pourrait réduire la teneur en protéines des grains et des fourrages. Les rendements du maïs – même irrigué – devraient diminuer parce qu'il valorise moins bien le CO2. Une stagnation serait observée pour des cultures comme le tournesol et le colza.
C&E : Comment le monde agricole peut-il s'adapter à ce changement ?
J.-F.S. : Les agriculteurs s'adaptent déjà, comme le montre l'avancement de certaines dates de semis ou celles des vendanges. De façon globale, deux stratégies sont aujourd'hui possibles : celle de l'esquive et celle de l'évitement. La première consiste à positionner le cycle cultural pour l'ajuster à la ressource en eau disponible, par exemple en avançant la date des semis ou en semant des variétés de plus en plus précoces. La finalité de la seconde stratégie est la diminution de la demande d'eau en période de végétation afin de conserver une partie de la source pour les phases de forts besoins, à savoir la floraison et le remplissage du grain. A cette fin, on peut réduire la densité de peuplement et/ou la fertilisation azotée pour limiter le développement de la surface foliaire et donc de la transpiration. Mais cela ne suffira pas. Il faudra nécessairement envisager des changements d'espèces et de variétés et revoir les assolements. Et surtout gérer les surfaces par rapport à leurs potentiels de conservation de l'eau. Il est tout à fait possible, par exemple, de remplacer le maïs fourrage par du sorgho en matière d'alimentation animale. Le sorgho est une plante rustique qui supporte mieux la sécheresse que le maïs, gros consommateur d'eau.
C&E : L'adaptation à cette nouvelle donne climatique passera-t-elle par la génétique ?
J.-F.S. : La mise au point de variétés mieux adaptées aux périodes de fort déficit hydrique, économes en eau et tolérantes à la sécheresse est un axe important de recherche dans le cadre d'une agriculture durable. Mais Il ne faut pas compter à moyen terme sur la mise au point de plantes « miracles » qui seraient aussi productives que les plantes actuelles.
C&E : Que peut-on attendre des études conduites par l'Inra ?
J.-F.S. : Nous savons que le changement climatique interagit avec d'autres changements : augmentation de la concentration atmosphérique en CO2, changement d'usage des sols et de pratiques agricoles…L'Inra vient dans ce cadre de lancer un programme intitulé « Adaptation au changement climatique de l'agriculture ».

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