Miel, zizanie dans un village gaulois

11 janvier 2018 - La rédaction 
En dépit d'une production en chute, la profession apicole reste divisée et inefficace. Pourtant, en toute discrétion, une nouvelle génération d'apiculteurs tente de relever les défis.

Sur le papier, l’invitation paraît alléchante : le 25 janvier, des apiculteurs de toute la France participeront au premier concours du meilleur miel organisé à Paris. La sélection exige d’utiliser les trois sens : l’œil pour la brillance, le nez pour juger de l’arôme (acacia, menthe, fruit séché…) et la bouche pour la texture et le goût (caramélisé, rafraîchissant, doux…).

Cette initiative a pour but de redorer l’image du miel tricolore. À force de polémiques, le consommateur ne sait plus s’il achète du glucose importé de Chine ou du miel certes produit en France, mais miné de résidus de pesticides. « Nous souhaitons montrer que des apiculteurs français se battent pour des produits variés et de qualité, martèle Henri Clément, secrétaire général de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). C’est un complément du concours général organisé dans le cadre du Salon de l’agriculture qui n’est pas assez médiatique. »

Malgré la présence de partenaires tels que les fabricants de matériel apicole Icko, les laboratoires Véto-Pharma et Apimab, l’Unaf est seule à la manœuvre. Le syndicat dominant, qui assure fédérer 20 000 apiculteurs, soit un tiers des effectifs, occupe le devant de la scène sans convier d’autres fédérations professionnelles – agriculteurs, industriels, commerçants…- ni d’associations de consommateurs, et encore moins de représentants de l’État, alors que le concours se déroule au sein du Conseil économique et social au Palais d’Iéna, à Paris.

Bataille de chiffres entre FranceAgriMer et l’Unaf

Pourtant, la situation critique du miel français exigerait d’agréger toutes les forces. En 2016, la récolte de miel a chuté de 33,5 % par rapport à 2015, pour atteindre 16 099 tonnes. Des données signées l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) mais contestées par l’UNAF, qui estime plutôt à 9 000 tonnes la production française sur la même période.

Pour l’heure, aucun observatoire fiable ne peut démêler le vrai du faux. Même incertitude sur les causes de mortalité des abeilles. Un rapport de la direction générale de l’alimentation (DGAL) publié en 2015 pointe avant tout les pathologies, et notamment le virus véhiculé par le varroa, un accarien parasite de l’abeille. Arrivent ensuite les mauvaises pratiques apicoles : traitements non conformes, nutrition inadaptée des abeilles qui manquent de pollen, de nectar ou d’apport par l’apiculteur. Enfin, le rapport met en cause l’intoxication par des produits phytosanitaires.

Très critique, l’Unaf reproche justement à la DGAL de sous-estimer l’impact des pesticides. En avril 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses) a évalué la méthodologie du système de surveillance des colonies et exigé des corrections. Le bulletin épidémiologique de l’Anses daté de novembre 2017 dévoile une liste de 49 substances chimiques différentes susceptibles d’entraîner des intoxications. Pour autant, la DGAL pointe toujours l’impact des pathologies liées au varroa ou le virus de la paralysie chronique.

 

Pas de quoi convaincre l’UNAF qui considère que les analyses toxicologiques devraient être systématiques. « Il est probable que des abeilles affaiblies par les phytosanitaires soient plus vulnérables aux attaques de virus », commente Anne Furet, chargée de projet Environnement de l’abeille au sein du syndicat.

Les États généraux de l’Alimentation, une occasion manquée

Aucun spécialiste ne peut trancher entre les données de l’administration qui dépendent de (trop) rares déclarations d’apiculteurs, et celles du syndicat engagé dans la réforme d’un modèle agricole jugé néfaste pour l’environnement.

Seule certitude : une multitude de facteurs explique le déclin des colonies. Le changement climatique, le manque de biodiversité, les insecticides, l’inexpérience et d’autres fléaux comme le frelon asiatique s’ajoutent aux problèmes récurrents pointés par la DGAL.

Malgré l’urgence, l’interprofession reste plus divisée que jamais. Vincent Michaud, président du syndicat français des miels et PDG de Famille Michaud apiculteurs (marque Lune de Miel), refuse le rôle de fédérateur : « La production de miel français s’effondre car la France est un des pays qui utilise le plus de produits phytosanitaires. Nous trouvons du miel de qualité hors de l’Hexagone. »

Le 20 décembre, à la suite des États généraux de l’Alimentation, les différents acteurs de l’interprofession ont signé une charte d’engagements adressés au ministère de l’Agriculture. On trouve parmi les signataires les syndicats agricoles (FNSEA, Confédération paysanne…) apicoles (UNAF, le syndicat français des miels qui regroupe les conditionneurs…), la FCD (commerçants). Mais la division en deux collèges – production et commercialisation – ainsi que la faiblesse des engagements qui tiennent sur une feuille A4 relativisent la portée du document.

Encore une occasion manquée, alors que les acteurs devraient se mobiliser pour collaborer à la surveillance des dangers sanitaires et trouver des solutions. Pourquoi ne pas imposer, par exemple, un étiquetage fiable sur l’origine des miels, seule mesure susceptible de rassurer le consommateur ?

Le Club Atout Miel à Verdun-sur-le Doubs réunit apiculteurs et agriculteurs

Plutôt que de céder au fatalisme, une nouvelle génération d’apiculteurs multiplie les initiatives sur le terrain. Faisant fi des polémiques, ils expérimentent et testent des parades. C’est le cas à Verdun-sur-le-Doubs (Saône-et-Loire), où la Coopérative Bourgogne du Sud dirigée par Michel Duvernois a lancé le Club Atout Miel. Il réunit apiculteurs et agriculteurs autour des ruchers. Une sorte d’union sacrée pour favoriser la pollinisation.

Ce Club observe et cherche à développer les bonnes pratiques. « Nous avions l’intuition que la mortalité des abeilles était liée à un problème de réserve alimentaire. Même affamées et surexploitées, ces ouvrières continuent de travailler sans relâche au point d’en mourir. Par conséquent, nous préconisons de récolter début août pour que la colonie résiste à l’hiver. Nous parvenons à diminuer le taux de mortalité », précise Patrick Cymerys, apiculteur technicien de la coopérative.

Quant aux produits phytosanitaires, Michel Duvernois, ingénieur agronome, estime « possible de réduire progressivement leur usage car le système de certificat d’économie de produits phytosanitaires ou CEPP du plan Écophyto 2 fonctionne. Enfin, diversifier les cultures avec le soja constitue une piste d’avenir sachant que cette légumineuse exige moins de traitements. »

Confidences d’Abeille met de la technologie dans la ruche

En Haute-Savoie, dans leur fief de Faverges, les frères Eskszterowicz cassent aussi les idées reçues. Confidences d’Abeille, leur start-up apicole, est un laboratoire marketing et technologique au service du miel. Le duo s’appuie sur une solide formation scientifique : Gaëtan étudie aux Mines d’Alès, et Nicolas suit le cursus de l’ESISAR, une école d’ingénieurs des systèmes intelligents et communicants. Ils complètent leur savoir-faire apicole hérité de leur grand-père par une vision 2.0 du métier. « Nous entretenons de bonnes relations avec les syndicats mais il faut aller au-delà. Internet permet de fédérer des communautés d’apiculteurs pros ou amateurs capables d’échanger gratuitement des conseils et des moyens. Notre philosophie est différente : on se prend en main sans attendre les subventions », assure Gaëtan Eskszterowicz.

Les deux frères suivent plusieurs pistes : atténuer les effets du changement climatique en organisant la transhumance des ruches sans les stresser, lutter (difficilement) contre le varroa avec des huiles essentielles, surveiller l’essaim pendant l’hiver, dénoncer les fraudes… Début janvier, Confidences d’Abeille a inauguré le parrainage de ruches en lançant un site éponyme.

Pour que particuliers et salariés mettent un doigt dans le miel. Et ne le retirent plus jamais.

Marie Nicot

Miel, zizanie dans un village gaulois

- La rédaction 
En dépit d'une production en chute, la profession apicole reste divisée et inefficace. Pourtant, en toute discrétion, une nouvelle génération d'apiculteurs tente de relever les défis.

Sur le papier, l’invitation paraît alléchante : le 25 janvier, des apiculteurs de toute la France participeront au premier concours du meilleur miel organisé à Paris. La sélection exige d’utiliser les trois sens : l’œil pour la brillance, le nez pour juger de l’arôme (acacia, menthe, fruit séché…) et la bouche pour la texture et le goût (caramélisé, rafraîchissant, doux…).

Cette initiative a pour but de redorer l’image du miel tricolore. À force de polémiques, le consommateur ne sait plus s’il achète du glucose importé de Chine ou du miel certes produit en France, mais miné de résidus de pesticides. « Nous souhaitons montrer que des apiculteurs français se battent pour des produits variés et de qualité, martèle Henri Clément, secrétaire général de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). C’est un complément du concours général organisé dans le cadre du Salon de l’agriculture qui n’est pas assez médiatique. »

Malgré la présence de partenaires tels que les fabricants de matériel apicole Icko, les laboratoires Véto-Pharma et Apimab, l’Unaf est seule à la manœuvre. Le syndicat dominant, qui assure fédérer 20 000 apiculteurs, soit un tiers des effectifs, occupe le devant de la scène sans convier d’autres fédérations professionnelles – agriculteurs, industriels, commerçants…- ni d’associations de consommateurs, et encore moins de représentants de l’État, alors que le concours se déroule au sein du Conseil économique et social au Palais d’Iéna, à Paris.

Bataille de chiffres entre FranceAgriMer et l’Unaf

Pourtant, la situation critique du miel français exigerait d’agréger toutes les forces. En 2016, la récolte de miel a chuté de 33,5 % par rapport à 2015, pour atteindre 16 099 tonnes. Des données signées l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) mais contestées par l’UNAF, qui estime plutôt à 9 000 tonnes la production française sur la même période.

Pour l’heure, aucun observatoire fiable ne peut démêler le vrai du faux. Même incertitude sur les causes de mortalité des abeilles. Un rapport de la direction générale de l’alimentation (DGAL) publié en 2015 pointe avant tout les pathologies, et notamment le virus véhiculé par le varroa, un accarien parasite de l’abeille. Arrivent ensuite les mauvaises pratiques apicoles : traitements non conformes, nutrition inadaptée des abeilles qui manquent de pollen, de nectar ou d’apport par l’apiculteur. Enfin, le rapport met en cause l’intoxication par des produits phytosanitaires.

Très critique, l’Unaf reproche justement à la DGAL de sous-estimer l’impact des pesticides. En avril 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses) a évalué la méthodologie du système de surveillance des colonies et exigé des corrections. Le bulletin épidémiologique de l’Anses daté de novembre 2017 dévoile une liste de 49 substances chimiques différentes susceptibles d’entraîner des intoxications. Pour autant, la DGAL pointe toujours l’impact des pathologies liées au varroa ou le virus de la paralysie chronique.

 

Pas de quoi convaincre l’UNAF qui considère que les analyses toxicologiques devraient être systématiques. « Il est probable que des abeilles affaiblies par les phytosanitaires soient plus vulnérables aux attaques de virus », commente Anne Furet, chargée de projet Environnement de l’abeille au sein du syndicat.

Les États généraux de l’Alimentation, une occasion manquée

Aucun spécialiste ne peut trancher entre les données de l’administration qui dépendent de (trop) rares déclarations d’apiculteurs, et celles du syndicat engagé dans la réforme d’un modèle agricole jugé néfaste pour l’environnement.

Seule certitude : une multitude de facteurs explique le déclin des colonies. Le changement climatique, le manque de biodiversité, les insecticides, l’inexpérience et d’autres fléaux comme le frelon asiatique s’ajoutent aux problèmes récurrents pointés par la DGAL.

Malgré l’urgence, l’interprofession reste plus divisée que jamais. Vincent Michaud, président du syndicat français des miels et PDG de Famille Michaud apiculteurs (marque Lune de Miel), refuse le rôle de fédérateur : « La production de miel français s’effondre car la France est un des pays qui utilise le plus de produits phytosanitaires. Nous trouvons du miel de qualité hors de l’Hexagone. »

Le 20 décembre, à la suite des États généraux de l’Alimentation, les différents acteurs de l’interprofession ont signé une charte d’engagements adressés au ministère de l’Agriculture. On trouve parmi les signataires les syndicats agricoles (FNSEA, Confédération paysanne…) apicoles (UNAF, le syndicat français des miels qui regroupe les conditionneurs…), la FCD (commerçants). Mais la division en deux collèges – production et commercialisation – ainsi que la faiblesse des engagements qui tiennent sur une feuille A4 relativisent la portée du document.

Encore une occasion manquée, alors que les acteurs devraient se mobiliser pour collaborer à la surveillance des dangers sanitaires et trouver des solutions. Pourquoi ne pas imposer, par exemple, un étiquetage fiable sur l’origine des miels, seule mesure susceptible de rassurer le consommateur ?

Le Club Atout Miel à Verdun-sur-le Doubs réunit apiculteurs et agriculteurs

Plutôt que de céder au fatalisme, une nouvelle génération d’apiculteurs multiplie les initiatives sur le terrain. Faisant fi des polémiques, ils expérimentent et testent des parades. C’est le cas à Verdun-sur-le-Doubs (Saône-et-Loire), où la Coopérative Bourgogne du Sud dirigée par Michel Duvernois a lancé le Club Atout Miel. Il réunit apiculteurs et agriculteurs autour des ruchers. Une sorte d’union sacrée pour favoriser la pollinisation.

Ce Club observe et cherche à développer les bonnes pratiques. « Nous avions l’intuition que la mortalité des abeilles était liée à un problème de réserve alimentaire. Même affamées et surexploitées, ces ouvrières continuent de travailler sans relâche au point d’en mourir. Par conséquent, nous préconisons de récolter début août pour que la colonie résiste à l’hiver. Nous parvenons à diminuer le taux de mortalité », précise Patrick Cymerys, apiculteur technicien de la coopérative.

Quant aux produits phytosanitaires, Michel Duvernois, ingénieur agronome, estime « possible de réduire progressivement leur usage car le système de certificat d’économie de produits phytosanitaires ou CEPP du plan Écophyto 2 fonctionne. Enfin, diversifier les cultures avec le soja constitue une piste d’avenir sachant que cette légumineuse exige moins de traitements. »

Confidences d’Abeille met de la technologie dans la ruche

En Haute-Savoie, dans leur fief de Faverges, les frères Eskszterowicz cassent aussi les idées reçues. Confidences d’Abeille, leur start-up apicole, est un laboratoire marketing et technologique au service du miel. Le duo s’appuie sur une solide formation scientifique : Gaëtan étudie aux Mines d’Alès, et Nicolas suit le cursus de l’ESISAR, une école d’ingénieurs des systèmes intelligents et communicants. Ils complètent leur savoir-faire apicole hérité de leur grand-père par une vision 2.0 du métier. « Nous entretenons de bonnes relations avec les syndicats mais il faut aller au-delà. Internet permet de fédérer des communautés d’apiculteurs pros ou amateurs capables d’échanger gratuitement des conseils et des moyens. Notre philosophie est différente : on se prend en main sans attendre les subventions », assure Gaëtan Eskszterowicz.

Les deux frères suivent plusieurs pistes : atténuer les effets du changement climatique en organisant la transhumance des ruches sans les stresser, lutter (difficilement) contre le varroa avec des huiles essentielles, surveiller l’essaim pendant l’hiver, dénoncer les fraudes… Début janvier, Confidences d’Abeille a inauguré le parrainage de ruches en lançant un site éponyme.

Pour que particuliers et salariés mettent un doigt dans le miel. Et ne le retirent plus jamais.

Marie Nicot

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