Campagnes et environnement : Pourquoi estimez-vous nécessaire d’encadrer le transfert de propriété foncière ?
Dominique Potier : La régulation du marché foncier, qui remonte à l’après-guerre, donne des droits importants aux exploitants. Ce consensus a permis une mutation harmonieuse de l’agriculture. Grâce à la vigilance des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), les exploitations ont grandi sans heurts jusqu’à ces dix dernières années. Puis une course à l’agrandissement des parcelles a démarré. Des dérégulations ont été introduites. Et les fonds spéculatifs sont arrivés. Il y a donc alerte. Il existe des failles dans la réglementation qui permettent des opérations déloyales. Il faut compléter la loi agricole.
C&E : Quels sont les moyens pour éviter l’accaparement ?
D.P. : Nous avons réuni les représentants du monde agricole et le ministère pour mettre au point un texte dans la loi Sapin 2, qui a été retoqué par le conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Ma proposition de loi reprend le même principe : les Safer pourront désormais intervenir en cas de transferts de parts sociales des sociétés anonymes dont l’objet est l’exploitation agricole. On impose la transparence.
C&E : Qui visez-vous ?
D.P. : Le texte ne cible aucun investisseur particulier, qu’il soit français, chinois ou australiens… Une Safer peut agir quelle que soit la nationalité de l’acquéreur. Avec cette nouvelle compétence, on évite les mouvements de propriété comme ceux dans l’Indre, qui ont défrayé la chronique en 2016.
C&E : Cette loi sera-t-elle suffisante pour verrouiller les achats massifs de foncier agricoles ?
D.P. : On ignore si le texte sera suffisant. Une grande loi foncière est nécessaire car les enjeux sont planétaires. Un agrandissement des parcelles cultivées provoque un appauvrissement de la biodiversité. On sait aussi que les champs et les forêts captent le carbone, ce qui permet de lutter contre le réchauffement climatique. Il faut donc être vigilant sur l’usage des terres. Et éviter que l’enrichissement de quelques-uns pénalise une population entière. Une loi ambitieuse est nécessaire, car lutter contre l’accaparement des terres suppose de considérer deux libertés fondamentales : celle de s’associer et le droit de propriété. Ces deux libertés ne doivent pas être utilisées contre les citoyens. Il faut trouver un équilibre.
C&E : Encadrer risque-t-il de ralentir ou de geler les transactions?
D.P. : Les libéraux prétendront qu’il y a aura un impact négatif. Je ne suis pas de cet avis.
Propos recueillis par Marie Nicot