Quelle est la vocation d’Agrisud ?
L’association s’adresse à des paysans marginalisés par des crises climatiques ou économiques. Ils ne peuvent revenir dans les circuits marchands. Nous organisons un nouveau départ sur une très petite exploitation familiale, avec au préalable une formation puis un accompagnement jusqu’à la vente. Il ne faut pas se contenter de relancer l’activité. Il faut inclure la commercialisation. Le temps d’intervention varie en fonction des moyens de production. Si la personne est démunie, c’est évidemment plus long. Si un lopin de terre est disponible en propriété ou non, l’accompagnement dure deux ans en maraîchage et jusqu’à cinq ans en cultures fruitières et élevage.
Comment sélectionnez-vous les missions ?
Nous travaillons pour des bailleurs de fonds qui nous lancent des appels d’offres : l’Agence français de développement, l’Union européenne… Des coopératives d’agriculteurs peuvent aussi nous alerter et demander nos services.
Qui envoyez-vous sur le terrain ?
Nous avons 260 collaborateurs, ingénieurs, agronomes, économistes sur le terrain répartis dans douze pays. Ils viennent d’ONG locales ou sont expatriés. Notre approche est globale. Si on se contente de conseils agronomiques, c’est l’échec assuré. Au début, on se limitait à la création de très petites entreprises. Progressivement nous avons travaillé sur l’ensemble d’un territoire et des acteurs : chef de village, transporteur, amont et aval de la filière…
Transmettez-vous cette expérience dans le guide « Agriculture et dynamiques de territoires » ?
Exactement. Nous décrivons comment, au fil du temps, nous avons inscrit nos actions dans leur environnement pour qu’elles soient pérennes. Cela ne marche pas si on considère l’agriculture uniquement d’un point de vue technique ou financier. Il faut une approche globale et non en silos. Le guide s’adresse aux ONG et aux collectivités territoriales qui désirent agir.
Comment appréhendez-vous la question du foncier ?
Parfois, les paysans sont propriétaires de leur terrain, mais la plupart disposent plutôt d’un droit d’usage. Et dans ce dernier cas, ils ne peuvent investir. Difficile d’installer un système d’irrigation si le propriétaire foncier redoute un accaparement du lopin. Il faut être diplomate. Nous travaillons sur la fertilité des sols dans une démarche agroécologique. En Haïti et à Madagascar, les terres sont dégradées par le changement climatique. Nous reconstituons le potentiel agricole et cela passe le plus souvent pas l’accès aux sources d’eau.
Qui sont vos donateurs ?
Notre budget s’élève à 4,5 millions d’euros, dont les trois quarts sont assurés par l’Agence française de développement. Les autres bailleurs sont : l’Union européenne, des collectivités territoriales comme la Nouvelle Aquitaine qui finance des projets en Haïti, au Vietnam, au Maroc… J’ajoute aussi les fondations qui s’intéressent à la biodiversité telles que Ensemble, GoodPlanet, A Tree for you. Enfin, des entreprises comme L’Oréal ou Chanel nous demandent de construire des filières d’approvisionnement durable, soit pour les besoins locaux, soit pour l’export. Par exemple, nous avons monté une production d’huile d’olive au Maroc adaptée aux standards de qualité des cosmétiques européens. Autre exemple, Club Med tentait depuis 10 ans de travailler avec des petits fournisseurs locaux, mais la qualité et la régularité n’étaient pas optimales. Nous avons professionnalisé des paysans au Sénégal, au Brésil, à Bali…
Alors que l’opinion publique s’inquiète pour l’avenir des agriculteurs français, est-il plus difficile de mobiliser pour les petits paysans du Sud ?
Cela a toujours été difficile ! C’est vrai que si l’on considère uniquement la question de l’importation des produits agricoles du Sud, il y a un vrai repli sur la production tricolore. Je tiens à souligner que nos petits paysans n’exportent quasiment pas. Ils travaillent pour leur famille ou les marchés locaux. En réalité, nous agissons sur le flux migratoire. Si nous ancrons nos bénéficiaires dans leur territoire, ils ne prendront plus la route de Europe.
Au final, qu’est-ce qui vous différencie de Muhammad Yunus, initiateur du micro-crédit ?
L’économiste bangladais Muhammad Yunus a lancé le micro-crédit destiné aux personnes vulnérables, notamment des femmes installées en ville ou en périphérie. Elles sont couturières, commerçantes… Il n’y a pas d’accompagnement sur le long terme. Dans l’agriculture c’est plus compliqué en raison des risques sanitaires et météorologiques.
…et de Pierre Rabhi, auteur de l’ouvrage « Vers la sobriété heureuse » ?
Agrisud prône l’intensification agroécologique pour atteindre la sécurité alimentaire. Intensification est un gros mot pour Pierre Rabhi. Pas pour nous, qui sommes plus pragmatiques.
Propos recueillis par Marie Nicot