Un joyeux bazar. C’est l’impression que donne The Ecological greenhouse (serre écologique) du kibboutz d’Ein Shemer, située à 40 km de Tel Aviv. Pousses d’épinards cultivées hors sols, bouteilles d’eau remplies de spiruline, bassin d’aquaponie, atelier menuiserie, cuisine, ordinateurs… Et partout, écoliers et étudiants s’activent, bricolent, chahutent, rêvassent…
Ce décor « mi-agro, mi-bohème » est né en 1977 dans l’imagination du plasticien Avital Geva. Écolo précurseur, il a créé un lieu d’apprentissage de l’agriculture par la pratique. « Les éducateurs se contentent d’accompagner les jeunes qui mènent leurs expériences par eux-mêmes. Nous stimulons la créativité, la curiosité et la solidarité, précise Noam Baram, 20 ans, porte-parole du lieu. Ici, on pratique l’art de la coopération. »
Une communauté de paysans fondée en 1927
Avec ses bonnes joues et son look adolescent, le jeune homme incarne le côté utopique de la serre. C’est un volontaire engagé dans le projet afin d’éviter le service militaire obligatoire en Israël. Son rôle consiste à transmettre l’esprit pionnier du kibboutz d’Ein Shemer, une communauté de paysans créée en 1927 par des Juifs polonais et sionistes.
Aujourd’hui cette coopérative fédère 400 membres dont seulement 20 cultivent des avocats et élèvent des bovins. Poussée par la crise des années 80, la communauté s’est diversifiée dans la plasturgie (Ein Shemer Rubber industries et Miniplast), l’agrotourisme et l’éducation.
Le mariage de l’agriculture et de l’art
Malgré un apparent amateurisme, la cinquantaine de projets menée par les jeunes fait écho aux grandes questions du développement durable : la gestion de l’eau, si précieuse dans la région, la protection de la biodiversité, l’herboristerie, la recherche de nouvelles sources de protéines. L’étude de la spiruline par exemple est pilotée en partenariat avec le site de nutrition animale Ambar Feed.
Le plus étonnant reste la dimension artistique. En 1993, la serre a représenté Israël lors de la Biennale de Venise, haut lieu la création contemporaine. Et en 2014, le projet a été exposé au centre culturel JCC Meyerson de New York. Aujourd’hui, le jeune Nathan, lycéen de seconde est tout fier de montrer Biobee, une ruche de bourdons fermée et filmée par une caméra dont les images sont projetées sur grand écran. Son installation sera présentée dans un salon artistique à New Dehli.
À la pointe de l’agronomie
Ein Shemer n’est pas une exception. Si la plupart des 273 kibboutz ont perdu leurs idéaux égalitaires, ils conservent leur volonté d’innover. Les militants du début du siècle sont remplacés par des managers salariés qui gèrent ces structures comme des sociétés classiques. Dans les années 1980, la mort du mouvement était annoncée. Malgré les généreuses subventions publiques, les kibboutz étaient criblés de dettes. Ils ont bénéficié d’un aggiornamento de l’État, qui a annulé la moitié de leurs créances de plus de 3 milliards d’euros. En échange, les kibboutz ont plongé dans le grand bain du libéralisme et entamé un processus de privatisation qui se poursuit tant bien que mal.
Contraints de nourrir une population croissante dans un pays en grande partie désertique, certains sont aujourd’hui à la pointe de l’agronomie.
Le roi du goutte-à-goutte
C’est le cas de Netafim, racheté en juillet 2017 par le groupe mexicain Mexichem pour la somme astronomique de 1,5 milliard de dollars. Cinq candidats, dont deux fonds d’investissement chinois et un fonds souverain de Singapour étaient en compétition. Fondé en 1965 dans le désert du Neguev, Netafim est devenu le leader du goutte-à-goutte. Cette multinationale très profitable – on ne peut plus guère parler de kibboutz – est présente dans une centaine de pays avec 17 unités de production et 4 000 salariés.
Rien à voir avec l’ambiance boy scout de la serre écolo. Et pourtant, Ein Shemer et Netafim sont nés d’une même philosophie et partagent une obsession : grow more with less, « cultiver plus avec moins. »
Marie Nicot