Complexe car régi par une batterie de règlements et de lois plus ou moins efficaces, plus ou moins acceptés par les filières agricoles, sources de tensions entre agriculteurs, défenseurs de l’environnement et collectivités. Protéiforme car la problématique eau n’est pas la même selon les types de production, selon les régions, selon la nature des sols et celle des masses d’eau. Une zone humide sera, pour un écologiste, un sanctuaire pour la biodiversité, pour les collectivités une réserve tampon en cas d’inondation et pour les agriculteurs, un terrain à assécher pour des raisons pratiques.
En grande culture, l’urgence est à la protection des zones de captage, en zone irriguée, à la gestion des nappes phréatiques, en région côtière, les problèmes de phosphore deviennent prioritaires… Enfin, ce débat se révèle passionné car sans eau pas de vie et sans eau pas d’agriculture.
D’ailleurs, Claude Allègre, dans son livre Ma vérité sur la planète, fait de l’eau et de la sauvegarde des océans, (essentiels pour le cycle du climat) le combat prioritaire pour l’Homme. Mais à quel prix et avec quels moyens ? Ce combat sera efficace si tous les pays s’y attellent, mais la France ne représente que 1 % de la surface de la planète.
Si le scientifique conseille d’utiliser la science et les techniques pour ne pas tomber dans la décroissance, qu’en est-il sur le terrain ?
Dans l’Hexagone, cet enjeu se mesure à l’aune des menaces qui pèsent, tant sur le plan écologique qu’économique. Mais il est difficile de discerner une ligne de conduite consensuelle, outre celle imposée par la réglementation, même si, en région, des exemples de concertation et d’actions entre acteurs fonctionnent. Comme le relève justement Pascal Maret, directeur eau, milieux aquatiques et agriculture de l’agence de l’Eau Seine-Normandie. : « C’est très français de se renvoyer la balle. Chacun rejette la faute sur l’autre » (voir entretien p. 8). Pourtant le Sdage (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux), rédigé pour chaque grand bassin, détient bien cette mission : mettre tout le monde d’accord pour que, dès la fin 2009, les bonnes mesures soient prises. D’autant qu’il y a urgence et pas de temps pour expérimenter un arsenal de solutions.
UN TRAVAIL DE FOND
Le Sdage fait l’objet d’une consultation publique depuis le 15 avril (voir encadré). Bernard Gousset responsable environnement à la coopérative Cecab, implantée dans le Morbihan, participe au Comité de bassin de sa région. Il estime que le Sdage est bien un document de consensus entre tous : collectivité, agriculteurs, écologistes, consommateurs, industriels. « En petit comité, nous arrivons à trouver des points d’accord pour faire progresser ce dossier, une fois dépassés tous les a priori. » Pourtant, le premier débat organisé à Rennes, le 15 mai, avec le grand public dans le cadre de la consultation a pris la tournure d’une tribune où chaque acteur campait sur ses positions. « Dommage, car cela ne reflète pas les avancées. Sur scène, chacun reprend son rôle. » Bernard Gousset regrette qu’aujourd’hui, pour réparer, « on soit amené à faire de l’ultracuratif ». Déjà trop tard ? L’effet ne sera visible qu’à moyen terme. Il préférerait une approche globale, qui pose les problèmes de fond et prenne en compte tous les facteurs de pollutions agricoles, sans faire du coup par coup, et mette en balance le volet économique. Pour Pascal Maret, il n’est pas question de mettre en péril la rentabilité des exploitations mais d’ajuster, « de raisonner mieux les pratiques, ne pas agir de façon systématique ».
Avec le Grenelle de l’environnement, l’exigence de bon état des eaux s’est renforcée. La directive-cadre européenne impose un niveau de qualité en 2015 pour une liste de masses d’eau identifiée à hauteur de 60 % de la ressource en France. Le Grenelle compte monter la barre un peu plus haut, pour la mettre aux deux tiers. Et demande une réduction de 50 % des applications de pesticides à l’horizon 2018.
LA MARGE DE PROGRES EST DANS LES PRATIQUES AGRICOLES
Guy Paillotin, président du Comité de pilotage après Grenelle sur les phytosanitaires, s’est attaché au cours des quatre derniers mois à répondre à la question : « Comment réduire de 50 % les pesticides utilisés en 10 ans ? » Si, à l’issue des séances de travail, des propositions pouvaient paraître intéressantes, comme la généralisation des bonnes pratiques agricoles, le développement des solutions alternatives, l’encouragement de la recherche ou encore l’essor de l’agriculture biologique… il estime qu’elles ne permettront pas d’atteindre précisément les objectifs dans les délais fixés.
Pour l’expert, le cœur de l’action reste les bonnes pratiques agricoles et le levier le plus efficace le conseil agronomique et la formation des agriculteurs.
Jean-Marc Fragnoud, agriculteur à Agnin, dans l’Isère, exploite 65 ha dont 12 de vergers. Acteur du comité de bassin Rhône-Méditerranée, il sort l’enjeu sur l’eau de son contexte écologique pour le placer dans un environnement économique : « Passer d’un bon état écologique de 58 % des masses sur notre bassin à 66 % a un coût. Si cela implique la réduction de 50 % des applications de phytosanitaires, c’est la production qui est en balance. L’impact sur les prix sera inévitable. Et c’est le consommateur qui paiera, avec certainement, à moyen terme, une délocalisation des exploitations ».
Scénario extrême. Il reste pourtant serein : tout est une question de curseur, d’ajustement des exigences et des pratiques. Il regrette toutefois que les alternatives à la lutte chimique soient limitées : « Je fais de la protection intégrée sur mon verger, mais ce mode de production existe depuis 30 ans, il n’y a rien de neuf aujourd’hui ». En balance figure aussi la normalisation des produits, en l’occurrence des fruits : « Ce seul critère explique le tiers des traitements en arboriculture, poursuit-il. Un fruit parfait, en quantité suffisante, pas cher et qui protège à 100 % l’environnement, on ne sait pas faire. Évidemment nous voulons protéger l’eau à la source, mais quels moyens avons-nous, et à quel prix ? ». Le nombre et la qualité des outils pour y parvenir sont déterminants. Et les indicateurs, réguliers dans le temps, restent indispensables pour estimer les progrès.
Depuis le 15 avril, le grand public peut donner son avis sur les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et les programmes de mesures qui concernent le bassin hydrographique où il réside. La phase de consultation lancée sur le thème « L’eau c’est la vie, donnez-nous votre avis » durera jusqu’au 15 octobre.
Jean-Louis Borloo a donné le départ de l’envoi d’un questionnaire le 15 mai. Il sera adressé à 28 millions de foyers entre le 19 mai et le 6 juin. Cette phase de consultation du grand public est une exigence de la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE). Les questionnaires sont aussi en ligne sur les sites Internet des agences de l’eau. Les pollutions diffuses liées au monde agricole et la concertation entre les acteurs font partie des points soulevés.
Ces versions 2 des Sdage (la précédente date de 1996) et programmes de mesures devront être finalisées pour le début 2009, en vue d’une approbation des versions définitives à l’automne 2009, l’échéance européenne étant le 22 décembre 2009. Le Sdage doit tenir compte de deux consultations : celle du grand public qui vient de démarrer et celle des acteurs institutionnels (Conseils généraux et régionaux, organismes consulaires, conseils économiques et sociaux…). Il doit également prendre en compte les différentes définitions du bon état de chaque type de masse d’eau au niveau européen, mais aussi ne pas oublier les mesures prises en France suite au Grenelle de l’environnement, la trame bleue et la trame verte entre autres.