Dans leur cave d’affinage de la fromagerie du Murinois, située au Murinais dans l’Isère, Véronique et Damien Princet vérifient la maturité des Saint-Marcellin fabriqués la semaine précédente. Dans quelques jours, ils vendront dans leur boutique et sur les marchés ces fromages qui bénéficient depuis 2013 d’une Indication géographique protégée (IGP). Elle oblige à produire et transformer le lait dans un bassin délimité. La fromagerie fabrique chaque année 35 000 Saint-Marcellin. Le lait qu’elle utilise provient de l’une des 143 exploitations agricoles de l’IGP : la ferme de Sully. Implantée à moins de cinq km, sur la commune de Varacieux, elle appartient à Bruno Neyroud et ses deux associés.
Une alimentation locale et riche en herbe
Le cahier des charges fixé par l’IGP, impose au troupeau 180 jours de pâturage et 80 % des fourrages issus de la zone de production. « Nous souhaitons passer cette part à 90 % afin de renforcer l’approvisionnement local », affirme Bruno Neyroud. Une contrainte pas toujours facile à gérer à 450 mètres d’altitude. Les parcelles vallonnées rendent le travail mécanique plus compliqué et les chaleurs estivales ralentissent la pousse des pâtures. « Les périodes de forte chaleur où l’herbe souffre sont de plus en plus fréquentes, constate-t-il. La culture du maïs est la meilleure réponse, c’est notre assurance pour nourrir les animaux. N’oublions pas qu’elle a été introduite dans notre région suite à la sécheresse de 1976. » Source d’énergie pour les laitières, elle est destinée à l’ensilage. Elle complète la période de pâturage, qui s’étale de mars à novembre mais aussi le fourrage distribué en hiver. Pour les protéines, 8 ha sont semés en luzerne sur la trentaine que peut cultiver l’agriculteur.
Il sème ses prairies avec un mélange dit « Saint-Marcellin », qui associe du ray-grass anglais, de la fétuque souple, un trèfle blanc rampant, un trèfle blanc agressif, du dactyle et du lotier. L’agriculteur expérimente d’autres espèces en mélange. « J’essaye d’introduire de la chicorée. Elle possède un système racinaire profond, c’est un bon fourrage qui reste bien vert » , explique-t-il. Très peu gourmandes en intrants, ces espèces constituent de vrais alliés environnementaux pour l’exploitation tout en restant performantes économiquement. Sauf aléas climatiques, l’exploitation est auto-suffisante à 88 %. Les trois associés ont déjà remplacé la moitié des tourteaux de soja importés d’Amérique du Sud par du colza français. Ce dernier reste moins bien valorisé par les animaux. S’offre la solution du soja français. « Une bonne alternative lorsque les cours internationaux du soja sont élevés, mais souvent trop chère pour s’avérer compétitive », regrette l’éleveur qui souhaiterait s’affranchir complètement des protéines végétales américaines.
Santé et bien-être des vaches, vecteurs de productivité
Soucieux de l’impact environnemental de son exploitation, Bruno Neyroud a réalisé un diagnostic carbone en 2014 dans le cadre du programme « Fermes laitières bas carbone » porté par le Cniel, l’interprofession laitière. Déjà très performant sur le volet autonomie alimentaire, il a stabilisé sa consommation d’aliments concentrés et réduit ses achats d’engrais tout en accroissant sa production de lait. Il attache aussi une grande importance au bien-être de son troupeau. Dans le bâtiment construit en 2011, Bruno Neyroud a installé une brosse rotative où ses Montbéliardes se frottent la tête, le dos et la croupe pour leur plus grand plaisir. L’étable comporte des logettes individuelles et est très bien ventilée, limitant ainsi le développement de maladies. L’un des associés s’est même formé à la phytothérapie. Ils l’expérimentent depuis quelques mois sur la ferme afin de recourir à des méthodes de soin plus naturelles. Pour Bruno Neyroud, il n’y a pas de secret : une vache en bonne santé produit mieux.
- Une ferme au cœur de l’économie circulaire
Bruno Neyroud et ses associés cumulent à leur exploitation une activité forestière. Ils produisent entre autres du bois déchiqueté qui alimente leur chaudière et celles de plusieurs collectivités environnantes. Des communes voisines donnent aussi 150 tonnes de déchets verts par an à l’exploitation, qui comme les copeaux issus de la scierie, sont mélangés au fumier afin de produire du compost. Ce dernier est épandu sur les parcelles de maïs, limitant le recours aux engrais de fond. « C’est un excellent moyen de valoriser notre fumier qui est difficilement compostable. » Rien ne se perd, tout se transforme !
Communiquer auprès du consommateur
Le diagnostic carbone « Fermes laitières bas carbone » constitue pour Bruno Neyroud un excellent moyen de parler de son métier sous un autre angle. La communication vers le consommateur final s’avère déterminante. Chaque année, le comité du Saint-Marcellin organise au printemps la fête du Saint-Marcellin. L’occasion pour les grands comme les petits de découvrir les pratiques des éleveurs qui se cachent derrière ce fromage.