Dans son rapport publié en juin, Agriculture Stratégies reproche à la proposition de la Commission européenne de vouloir rester le bon élève de l’OMC, alors que des pays tiers choisissent davantage de protectionnisme. Que répondez-vous ?
Wolfgang Burtscher : Les réformes de la politique agricole commune (Pac) depuis les années 1990 ont modernisé la politique et éliminé de manière substantielle les distorsions du passé. Aujourd’hui, l’UE est le premier exportateur agroalimentaire au monde. En 2019, elle a exporté plus de 180 milliards d’euros de produits agroalimentaires, affichant un excédent net de plus de 60 milliards d’euros (données pour l’UE27). Cette balance commerciale positive reflète que les réformes en faveur d’une ouverture vers le marché mondial ont considérablement augmenté la qualité et la compétitivité du secteur. Le commerce accroît l’activité économique et la croissance au profit de l’ensemble de la société. C’est pourquoi l’UE s’est engagée à préserver les règles multilatérales tout en soutenant activement, à bien des égards, une réforme de l’OMC.
Alors que l’UE respecte les règles de l’OMC, nous utilisons simultanément tous les instruments possibles au sein de l’OMC pour protéger nos droits et faire en sorte que les autres membres respectent leurs engagements. Nous jouons un rôle moteur au sein de l’OMC en promouvant une politique qui n’entraîne pas de distorsion des échanges sur son territoire, mais aussi en rappelant à l’ordre les membres qui ne respectent pas leurs engagements. Nous garantissons ainsi aux agriculteurs de l’UE et à l’industrie agroalimentaire européenne le meilleur accès possible au marché.
Le cabinet de conseil estime également qu’il faut mieux réguler le marché intérieur, en gérant les crises de surproduction et en garantissant des revenus aux agriculteurs qui leur permettront de s’engager dans l’agroécologie. Pourquoi n’est-ce pas la voie choisie par la Commission européenne ?
W. B. : La Commission ne partage pas l’analyse d’Agriculture Stratégies quant à l’efficacité des outils de régulation de marché. À titre d’exemple, l’intervention publique étant un outil permettant d’anticiper une baisse extrême des prix en cas de forte perturbation du marché, elle ne vise pas à assurer un niveau de revenu minimum aux agriculteurs. D’autres outils de la Pac tels que les paiements directs ou l’outil de stabilisation des revenus existent pour soutenir, de manière plus efficace, les revenus des agriculteurs.
La Commission surveille de très près les marchés. La pandémie de coronavirus a confirmé le fait que la sécurité alimentaire, inscrite parmi les objectifs du Traité en matière agricole, est essentielle pour nos sociétés. Au-delà de cette crise ponctuelle, les systèmes alimentaires sont confrontés au besoin de s’adapter au changement climatique, à la gestion durable des ressources naturelles et aux nouvelles demandes sociétales. Le tout, en continuant à offrir une perspective économique aux agriculteurs. La stratégie « De la ferme à la fourchette » ouvre la voie à un système alimentaire européen plus résilient. Elle permettra les transformations nécessaires au maintien, sur le long terme, d’une production alimentaire durable en Europe, tant sur les plans environnemental, climatique, économique que social. Cette stratégie, à travers la Pac, encourage l’adoption de pratiques agricoles durables tel que l’agroécologie.
Agriculture Stratégies regrette l’absence de compensation carbone aux frontières et estime que le dispositif des eco-schemes, qui rémunèrent les services rendus par l’agriculture, relève du greenwashing…
W. B. : La Commission propose une future Pac plus ambitieuse en termes d’environnement et d’actions pour le climat. Par exemple, la reconnaissance des services environnementaux rendus par l’agriculture est maintenue comme un objectif primordial de la prochaine politique agricole.
En ce qui concerne la compensation carbone aux frontières, la Commission étudie actuellement la meilleure manière de mettre en œuvre un tel mécanisme. Une consultation publique est ouverte afin de recueillir l’avis et les commentaires des parties prenantes et des citoyens dans ce domaine.
Enfin, les éco-régimes (eco-schemes en anglais) inclus dans la future Pac, permettront de récompenser le maintien ou l’adoption de pratiques agricoles favorables à l’environnement et au climat par les agriculteurs. Les États membres proposeront le contenu de leurs éco-régimes dans le cadre de leurs plans stratégiques de la Pac. Tout ce qu’un État membre proposera doit clairement contribuer à atteindre les objectifs environnementaux et climatiques de la Pac, et aussi ceux des stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la fourchette ». Ces propositions devront s’articuler de manière cohérente avec le fonctionnement des autres outils de la Pac. Elles doivent également aller au-delà des exigences de la conditionnalité, garantissant une réelle et ambitieuse performance environnementale.
Comment la nouvelle Pac va-t-elle participer aux enjeux environnementaux, climatiques et de protection de la biodiversité ?
W. B. : Premièrement, conformément à l’ambition insufflée par le Pacte vert européen, l’environnement et le climat occupent une place majeure parmi les objectifs proposés pour la future Pac. Ils seront directement couverts par l’un des trois « objectifs généraux » et associés à trois des neuf « objectifs spécifiques ».
Deuxièmement, ce nouveau modèle s’appuie davantage sur les résultats et moins sur le respect de règles détaillées et définies à l’échelon de l’UE. Chaque État membre doit élaborer un plan stratégique national relevant de la Pac, dans lequel il présentera une analyse de la situation sur son territoire, se fixera des objectifs quantifiés et les moyens de les atteindre. Ils devront explicitement montrer une plus grande ambition en matière d’environnement et de climat qu’au cours de la période 2014-2020, avec le « principe de non-régression ». Les progrès réalisés au regard des objectifs feront l’objet d’un suivi et des mesures correctives seront prises, si nécessaire.
Troisièmement, l’ « architecture verte » de la future Pac s’appuiera sur un nouveau système de conditionnalité s’appliquant à tous les paiements liés à la surface et à l’animal versés au titre des deux piliers de la Pac. Ce système améliora le dispositif et le verdissement actuels. Les États membres bénéficieront d’une certaine souplesse dans sa mise en œuvre. Mais, contrairement à ce qui se passe actuellement, leur approche sera soumise à l’approbation de la Commission dans le cadre de leur plan stratégique. De plus, comme expliqué précédemment, les « Eco-régimes » du premier pilier, rémunéreront les services environnementaux et climatiques rendus par l’activité agricole.
Dans le cadre du second pilier, l’éventail complet des mesures actuelles en matière d’environnement et de climat restera disponible. Il comprendra non seulement des paiements liés à la surface et à l’animal, mais aussi un soutien aux investissements, au renforcement des connaissances, à l’innovation et à la coopération. Les États membres seront tenus de consacrer au moins 30 % de leur financement au titre de ce second pilier aux objectifs liés à l’environnement et au climat.
Va-t-on davantage vers une renationalisation de la politique agricole ?
W. B. : La future Pac repose sur un équilibre minutieux entre une flexibilité accrue pour les Etats membres et un cadre réglementaire commun.
Ce dernier définit des éléments obligatoires, tels que les règles communes à la mise en œuvre des paiements directs ainsi que celles de la conditionnalité devant être respectées par tous les agriculteurs bénéficiaires de la Pac. Il assure que la Pac atteigne ses neufs objectifs spécifiques, qu’elle soit exécutée, suivie et évaluée sur la base d’indicateurs communs, et qu’elle respecte les critères définis au niveau européen, incluant la cohérence avec des politiques connexes. Enfin, ce cadre commun inclut aussi la supervision de la Commission dans l’élaboration des plans stratégiques à travers des recommandations pour chaque État membre. Elle se chargera aussi de leur approbation, leur suivi et l’évaluation annuelle de leur mise en œuvre, ainsi que l’apurement annuel des comptes.
Quelles gestions des crises agricoles proposez-vous ?
W. B. : Au vu de la récente crise liée au coronavirus et comme indiqué dans la récente stratégie « De la ferme à la fourchette », la Commission souhaite intensifier sa coordination en termes de crises touchant les systèmes alimentaires.
S’appuyant sur les leçons tirées, la Commission évaluera la résilience du système alimentaire actuel et établira un plan d’urgence destiné à garantir l’approvisionnement et la sécurité alimentaires en temps de crise. Le plan prévoira aussi un mécanisme de réaction aux crises alimentaires, coordonné par la Commission et associant les États membres. Il pourra s’appliquer à divers secteurs (agriculture, pêches, sécurité des denrées alimentaires, main-d’œuvre, santé et transports) en fonction de la nature de la crise.
L’actuelle réserve de crise agricole devra être repensée de sorte que tout son potentiel soit mobilisable sans délai en cas de crise sur les marchés agricoles. C’est pour cette raison que les propositions législatives relatives à la Pac post-2020 prévoient une réserve agricole flexible et opérationnelle, dont le financement ne se fera plus aux dépens des paiements directs aux agriculteurs. Elle servira à financer toutes les mesures de stockage (public et privé), ainsi que toutes les mesures exceptionnelles dans le cadre de l’organisation commune des marchés qui seront jugées nécessaires et adaptées à la sortie de crise.