Comment conserver la diversité biologique des ormes ?

20 février 2006 - La rédaction 
Au cours du siècle dernier, les ormes adultes ont disparu du paysage européen. Victimes d’une maladie, ces arbres naguère majestueux ne survivent aujourd’hui qu’à l’état de jeunes tiges bientôt contaminées à leur tour. Dans le Loiret, une équipe du Cemagref étudie et conserve la diversité biologique des ormes en collaboration avec de nombreux partenaires français et étrangers.

La maladie responsable de la disparition de l’orme est apparue en 1919 en Belgique et en Hollande, se propageant rapidement dans toute l’Europe occidentale puis en Amérique du Nord. Après une décennie d’accalmie, elle réapparaît sur notre continent avec une plus grande virulence dans les années 70, suite à l’importation de bois contaminé en provenance d’Amérique du Nord. Un champignon du genre Ophiostoma, initialement décrit sous le nom de Graphium ulmi (d’où la maladie tire son nom), est à l’origine de cette hécatombe. Il bénéficie de la complicité de plusieurs espèces de coléoptères, les scolytes de l’orme, dont les larves vivent sous l’écorce des ormes malades, au contact des spores du champignon. A l’âge adulte, les insectes s’envolent à la recherche de nourriture et contaminent d’autres ormes en mordant leur rameaux. La progression de l’épidémie est fulgurante et les arbres contaminés meurent en quelques mois. Des méthodes de lutte chimique et biologique contre le champignon pathogène et les scolytes ont été mises au point mais leur emploi, difficile et onéreux, ne peut être appliqué qu’aux arbres de parc les plus précieux. Il était donc nécessaire et urgent d’agir pour préserver la diversité des ressources génétiques des ormes de nos forêts et de nos bocages. Le Cemagref s’y est employé avec l’appui du ministère de l’Agriculture et de la Commission européenne.

La thécla de l’orme est un papillon inféodé à l’orme

Imiter Noé…

En France comme dans de nombreux autres pays européens, les premières mesures de sauvegarde de la diversité biologique des ormes ont consisté à prendre des boutures sur de vieux ormes avant que tous ne disparaissent. Le réflexe de Noé en quelque sorte… à ceci près que l’Arche n’est pas un navire mais une plantation conservatoire de clones où les jeunes arbres issus des bouturages sont taillés à 1,5 m de haut de façon à ne pas attirer les scolytes, ces derniers ne s’alimentant que sur des arbres de plus grande taille. D’autres « copies » des clones bouturés sont plantées pour des tests pathologiques où leur résistance éventuelle à la graphiose est évaluée à la suite d’inoculations artificielles réalisées en partenariat avec l’Inra*.

Cette méthode de conservation permet donc à la fois de sauvegarder rapidement un grand nombre de clones originaires de diverses régions et de sélectionner les plus résistants à la maladie. Elle convient bien à l’orme champêtre (Ulmus minor Mill.), espèce facile à bouturer et d’ailleurs communément multipliée et plantée depuis des siècles en raison de ses nombreux usages (voir encadré). En revanche, elle est plus difficilement applicable à l’orme de montagne (U. glabra Huds.), qui ne se reproduit bien que par voie sexuée. Elle présente également moins d’intérêt pour la préservation de l’orme lisse (U. laevis Pall.) car cette espèce, peu attractive pour les scolytes, est moins menacée par la graphiose que par la destruction de son habitat, les forêts riveraines des grands fleuves.

…ou suivre Darwin ?

En dépit de ses avantages, la conservation de clones ex situ n’est pas suffisante (car trop «statique») si l’on se place dans une perspective évolutionniste. Pour les émules de Charles Darwin, la préservation de la capacité d’adaptation d’une espèce dans son environnement naturel importe plus que la conservation du génotype d’individus remarquablement âgés ou résistants. De fait, la conservation «dynamique» in situ de populations naturelles d’orme lisse ou de montagne semble encore possible dès lors que le nombre d’arbres en âge de fleurir est suffisant pour assurer une nouvelle génération génétiquement diverse, au sein de laquelle la sélection naturelle conservera les semis les plus adaptés aux nouvelles conditions de leur environnement (pathologie, climat,…). Dans cette approche «dynamique», il est essentiel de favoriser la floraison et la fructification des arbres de manière à faciliter les échanges de pollen et la recombinaison des gènes présents dans la population. Peu importe que des ormes succombent à la graphiose s’ils ont transmis à leur descendance une diversité génétique suffisante pour que la population perdure et continue à évoluer, à s’adapter !

Pour réconcilier Noé et Darwin, les chercheurs ont imaginé une troisième méthode, appelée conservation dynamique ex situ. Elle consiste à favoriser la production de graines et de semis au sein de plantations conservatoires à large base génétique. Cette solution est particulièrement appréciable quand les populations naturelles sont trop petites ou trop morcelées pour se maintenir durablement sans risque d’érosion génétique et de consanguinité.

Avancées et perspectives

Grâce au projet européen RESGEN 78 (janv. 1997- déc. 2001) coordonné par le Cemagref, la conservation statique ex situ de clones d’ormes a été rationalisée dans 9 pays de l’Union européenne. Une base de données commune a été créée, le travail de conservation et d’évaluation des clones a été partagé. En outre, des études génétiques à l’aide de marqueurs moléculaires ont permis de clarifier la taxonomie très contestée des ormes (les botanistes ne s’accordant ni sur le nombre ni sur la dénomination des espèces et variétés d’ormes indigènes en Europe !) et de lever un coin du voile sur les routes suivies par les ormes pour recoloniser l’Europe occidentale après les glaciations. Les clones les plus résistants à la graphiose permettront de contribuer, en mélange avec d’autres espèces d’arbres et d’arbustes, à la reconstitution du paysage bocager ainsi qu’à la diversification des espèces et variétés mises sur le marché.

L’effort doit maintenant porter sur la conservation dynamique in situ. Toutes les conditions sont réunies pour le faire : les outils méthodologiques sont disponibles et une stratégie paneuropéenne claire a été définie par le programme Euforgen** auquel collabore une trentaine d’états européens avec l’appui logistique de l’IPGRI***. Seul l’argent manque, et les chercheurs s’efforcent d’obtenir le soutien financier de la Commission européenne et des pays concernés.

Au-delà des questions de science et d’argent, une des conditions de réussite de cette approche in situ réside dans la capacité des généticiens, des écologues et des gestionnaires à travailler ensemble pour prendre en compte la conservation de la biodiversité dans sa triple composante : conservation des milieux, des espèces et de la diversité génétique au sein des espèces.

www.cemagref.fr

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