Référence environnement : Quel regard portez-vous sur le monde agricole. Notez-vous une prise de conscience grandissante en matière de respect de la biodiversité ?
Allain Bougrain-Dubourg : Dans le monde agricole, je trouve qu’une sensibilité nouvelle se dégage. C’est donc positif. D’ailleurs, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à participer à notre colloque agriculture et biodiversité.
Mais paradoxalement, du côté du gouvernement des efforts restent à faire. Un gouvernement qui arbitre toujours ses décisions dans une logique de productivisme agricole. Je regrette profondément que l’article 69 (1) de la réforme de la Pac permettant de soutenir une agriculture respectueuse de l’environnement et de la qualité, encourageant la biodiversité, ne soit pas intégré au premier pilier consacré aux aides à l’agriculture. En effet, il laisse la possibilité aux Etats membres d’attribuer un paiement supplémentaire à des types particuliers d’agriculture qui, selon la formulation consacrée, “sont importants pour la protection ou l’amélioration de l’environnement”. Cette aide aurait aussi relancé des filières, comme l’agriculture biologique française qui aujourd’hui se place parmi les mauvais élèves de l’Europe. De plus en privant d’un tel soutien les agriculteurs impliqués dans des démarches environnementales, les budgets nécessaires au financement de Natura 2000(2) seront prélevés sur celui réservé à la filière biodiversité, creusant ainsi un peu plus l’écart par rapport aux autres pays. Il ne faut pas non plus oublier que plus ces filières seront encouragées, plus elles seront attractives et plus un nombre croissant de consommateurs s’y intéresseront, avec des emplois supplémentaires en perspective. On dépasse bien le registre écologique.
R.E. : La mise en œuvre de la directive oiseaux et habitats, des bandes enherbées, mesures désormais obligatoires dans le cadre de la conditionnalité des aides, devraient tout de même être signe de progrès en matière de respect de l’environnement ?
A.B.-D. : Les directives donnent le champ d’action, ce sont les outils développés sur le terrain qui importent ensuite. En France, certaines régions, notamment la Beauce, ont un énorme retard. Par exemple pour la faune, il faudrait plus de haies et inciter les agriculteurs à les planter systématiquement.
R.E. : Quelles actions concrètes positives relevez-vous de la part des agriculteurs pour protéger les oiseaux ?
A.B.-D. : Nous avons noté une vraie bonne volonté notamment en Poitou-Charentes, région que nous suivons de près, le siège de la LPO étant à Rochefort. Par exemple, dans le cadre de la réintroduction de l’outarde canepetière, certains agriculteurs poitevins se sont vraiment investis pour recréer les habitats naturels de l’oiseau. Fiers de cette action, ils n’hésitent pas à communiquer avec le grand public sur ce thème, témoignant d’un retour important des populations d’outarde sur leur terre.
R.E. : Quel est votre souhait vis-à-vis du monde agricole ?
A.B.-D. : Je crois beaucoup en la valeur de l’exemple. Nous avons créé un réseau de fermes “agriculture et biodiversité”. Il démontre la bonne cohabitation entre une activité économique et le respect de l’environnement. L’agriculture biologique, l’agriculture raisonnée sont de bonnes formules. Notre réseau est ouvert à tous ceux qui souhaitent s’engager dans cette logique. Nous rassemblons plus de 70 exploitations agricoles adhérentes, surtout des régions Poitou-Charentes et Auvergne. Nous espérons en compter 150.
Et qu’un maximum d’agriculteurs adoptent cette autre logique de production.
(1) Article 69 du règlement Pac de 2003 (règlement (CE) n° 1782/2003). Cet article permet aux Etats membres de consacrer 10 % de l’enveloppe des paiements uniques destinés aux agriculteurs pour attribuer un paiement supplémentaire à des types particuliers d’agriculture qui sont importants pour la protection ou l’amélioration de l’environnement ou de la qualité.
(2)Natura 2000 : Programme européen (Directive 92/43/CEE) visant à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et flore sauvages sur le territoire des États membres. Un réseau écologique de zones spéciales protégées est désigné par les Etats-membres conformément à la directive.