Le Santerre est considéré par les spécialistes comme l’une des meilleures terres productrices d’Europe. Depuis de nombreuses années, chaque centimètre carré y est exploité. On y a arraché les bois et les bosquets, pour en faire une usine à matières premières agricoles. Mais à 20 kilomètres d’Amiens, le long de l’autoroute A29, il existe une vraie rupture avec l’apparition d’un parcellaire délimité par des haies. Un paysage digne des bocages anglais.
Sur les 393 hectares exploités en commun au sein du “GIE les beaux jours” (groupement d’intérêt économique), treize kilomètres de haies ont été plantées. “Cette idée est née à la suite de la lecture d’un article de la revue professionnelle Phytoma sur le psyle du poirier”, précise Marcel Jeansson, agriculteur à Marcelcave dans la Somme. “Les chercheurs avaient implanté des arbres pour développer des prédateurs naturels. Je me suis dit que l’on pouvait appliquer la même méthode à nos cultures de Scop (Surface en céréales et oléoprotéagineux). Pourquoi ne pas laisser faire à la nature, le travail de protection insecticide.” À cette notion très écologique s’ajoutent d’autres intérêts liés à l’emplacement de la ferme. Les terres sont balayées par des vents d’ouest qui gênent considérablement leur exploitation, notamment lors des irrigations ou des traitements. Les haies deviennent d’excellents brise-vent. Fin des années 90, Marcel Jeanson se penche sérieusement sur le dossier. Il obtient une première subvention du conseil général, en 1998, pour une étude faite en synergie avec la Chambre d’agriculture. Il multiplie les contacts en France (Inra) et en Belgique (Université de Louvain). La conclusion est sans appel, un autofinancement des haies ne peut être rentable.
Des opportunités pour passer à l’action
L’homme est têtu et surtout passionné. Persuadé que l’avenir passe par une meilleure utilisation des ressources naturelles, il consulte monsieur Guyot, le spécialiste des haies à l’Inra. Leurs études montrent que l’impact sur le rendement est négatif sur les bordures mais qu’on observe une augmentation sensible des rendements au centre des parcelles. De plus, la haie crée un microclimat qui favorise la maturité. On peut gagner quelques jours de précocité. À cela s’ajoute une baisse sensible dans l’utilisation des insecticides. La solution viendra de deux opportunités : le remembrement suite à la construction de l’autoroute A 29 (d’Amiens à Saint-Quentin) qui unifie l’exploitation ainsi que la création des CTE (Contrat territorial d’exploitation). “Avec mes deux associés du « GIE des beaux jours » et dans le cadre d’un CTE global, 13 kilomètres de haies jumelées à des bandes enherbées ont été replantés. Les parcelles ont été divisées pour obtenir des sous-parcelles de 5 à 8 hectares. Ces sous-parcelles ne dépassent pas les 150 mètres de large”, précise Marcel Jeansson. “Pour définir les dimensions des sous-parcelles, je n’ai pas tenu compte de la largeur de travail des travaux agricoles. En effet, la diversité des cultures ne le permet pas avec des betteraves semées à 45 cm d’interrang, des endives à 35, des pommes de terre à 90 et des céréales sur 3 à 4 mètres de large. Il n’y a pas de multiplicateurs communs.” Dans la mesure du possible, les cultures sont réparties en damier. Aujourd’hui dans le village de Marcel Cave, on peut écouter le cri des chauves-souris, avec un appareil à ultrasons, ce qui est révélateur de la population d’insectes à proximité des haies.
Une philosophie
“Respecter l’environnement, optimiser la marge et la qualité du produit sont trois impératifs indissociables. Je veux prouver que l’on peut produire aussi bien et dans des conditions plus naturelles. On m’a pris pour un « félé » lorsque j’ai commencé à implanter les haies. Il est prouvé que les haies génèrent des impacts très positifs sur la biodiversité. Le monde agricole est aujourd’hui critiqué pour avoir dénaturé le paysage pour en faire des usines à blé, à betteraves ou à pommes de terre. Vous imaginez l’impact sur les citadins qui passent sur l’autoroute qui longe mes parcelles lorsque les haies auront plusieurs mètres de haut.” Marcel Jeanson n’en oublie pas pour autant les réalités économiques. L’exploitation est gérée en partenariat avec deux autres associés avec entraide et copropriété. Une répartition des tâches a été faite pour exploiter les 393 hectares dont la Scop est répartie, en moyenne, avec 50 % céréales, 20 % pommes de terre, 15 % betteraves, 10 % de racines d’endives. “La qualité est devenue un facteur clé pour la valorisation de nos productions. Il faut la faire mais aussi le prouver.” Au mur du bureau sont affichés les différents certificats, Eurepgap pour les pommes de terre, l’exploitation est certifiée “qualiterre” et appartient au réseau Farre. Elle est aussi certifiée ISO 14001.
De nouveaux challenges
“Il existe de nombreux combats sur lesquels je pense pouvoir apporter une petite pierre à l’édifice. J’ai pris quelques responsabilités pour aider la région à répondre aux défis économiques (administration de coopérative, implication de la Chambre d’agriculture…). Je me suis aussi beaucoup investi dans le commerce équitable notamment avec Madagascar.” Ce sera la suite de l’aventure car la passion de Marcel a séduit un de ses enfants qui, après plusieurs années passées à l’extérieur, a rejoint la ferme. C’est en parfaite harmonie que l’aventure des haies se poursuivra.
Cinq études en cours
L’exploitation de Marcel Jeanson est un véritable laboratoire. Cinq groupes bénéficiant d’un financement du conseil régional effectuent des études qui doivent durer 12 ans.
1 – Évolution du rendement avec la Chambre d’agriculture départementale : sur la base d’une parcelle de référence, des relevés des variations de rendements et de précocité sont établis.
2 – Évolution de la pression parasitaire, notamment des populations de pucerons avec l’université d’Amiens : cette étude économique est publique, elle a pour but de démontrer la rentabilité des haies en fonction de l’utilisation des insecticides.
3 – Impact sur le gibier : La Fédération des chasseurs effectue des comptages réguliers sur les populations de lièvres et de perdreaux afin de définir des corrélations avec les haies.
4 – Impact sur les micromammifères : La Chambre régionale d’agriculture effectue des comptages sur les populations de mulot et autres campagnols.
5 – Évolution de la population d’oiseaux : L’Association Picardie nature observe et analyse l’impact des haies sur les populations de chauves-souris et d’oiseaux.
Rendez-vous en 2012 pour une synthèse globale. Les haies auront alors pour les hautes tiges plus de 10 m de haut et pour les basses tiges entre 3 et 5 m.
13 espèces d’arbres différentes
Les haies sont composées de treize espèces d’arbres différentes. La disposition est faite avec une espèce à tige haute puis deux espèces à tige basse puis de nouveau une espèce haute et deux espèces basses et ainsi de suite. L’idée est de pouvoir laisser passer la lumière et le vent dans la haie.
Hautes tiges (6) : aulnes cordata (50 %), érable plane, érable champêtre, érable sycomore, charme et tilleul.
Basses tiges (8) : sureau, pommier sauvage, troène, cornouiller mâle, prunellier, saule pourpre, saule gris.
Le bois fera partie de l’une des ressources économiques du projet. Les haies seront éclaircies au fur et à mesure de l’évolution du projet.
Trois mètres de bandes enherbées sur 13 kilomètres
Chaque haie est implantée au centre d’une bande enherbée de 3 mètres de large. Une telle implantation dans des terres agricoles considérées comme parmi les meilleures d’Europe peut surprendre mais elles font partie du raisonnement. Leur impact est très important. Pour avoir des insectes auxiliaires, il faut la biodiversité indispensable à la réussite du projet.