Référence environnement :Vous saluez la portée symbolique de la charte de l’environnement. À l’inverse, vous doutez de sa portée juridique. Pour quelles raisons ?
Corinne Lepage : Le seul article intéressant est l’article 1, celui qui reconnaît à chacun “le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”. Il apporte donc un élément nouveau dans le droit, car il fait une liaison entre la santé et l’environnement. C’est un droit-créance au même titre que le droit au travail, le droit au logement. On notera que le terme “respectueux” n’est pas très juridique, manquant de précision. Pour les autres articles je suis très dubitative. Leur portée juridique me semble bien faible et ils servent plus d’appui politique. Je vois même une régression pour le respect de l’environnement.
R.E. : Justement en quoi estimez-vous que la charte est une régression ?
C.L. : Il existe déjà un ensemble de textes communautaires qui s’imposent au législateur. Tout le monde sait que ces textes européens se placent au-dessus des textes français. Or les textes de la charte sont moins exigeants. En droit communautaire, le principe pollueur-payeur est reconnu. On pollue, donc on paye à hauteur des dégâts. Cette notion de proportionnalité n’est pas précisée dans la charte, le terme pollueur-payeur a été écarté. Certains y voyaient l’institution d’un droit à payer. C’est de la mauvaise foi. Le principe de précaution est aussi plus exigeant en droit communautaire, car il ne concerne pas les seuls pouvoirs publics. De même l’accès aux données, tel qu’il est préconisé dans le cadre de l’article 7, porte uniquement sur les travaux des pouvoirs publics, pas sur les dossiers que ces derniers détiennent sur les sociétés. En revanche dans le droit communautaire, c’est possible.
R.E. : Un tiers pourra-t-il saisir le tribunal administratif au nom du droit communautaire ? Par exemple pour dénoncer les outils de taxation dans le cadre de la loi sur l’eau, estimant que la contribution à la réparation n’est pas proportionnée aux dommages causés ?
C.L. : Toute la question va être de savoir comment ces textes vont se combiner. Jusqu’à présent le Conseil constitutionnel ne s’appuyait pas sur les textes communautaires liés au droit de l’environnement lors du contrôle des lois car les données environnementales n’avaient pas de valeur constitutionnelle. Mais en revanche, le juge administratif sanctionne depuis plusieurs années le non-respect du droit communautaire. Ce qui est régulièrement fait dans le cadre de la chasse par exemple. Ce droit demeure et on pourra toujours saisir le tribunal administratif du non-respect du droit communautaire. S’agissant du juge constitutionnel qui ne peut pas être saisi par des citoyens, nous ignorons quelle sera sa jurisprudence. La loi sur l’eau, s’il la contrôle, sera un bon indicateur.
R.E. : Concrètement quels sont les recours dont dispose un citoyen ?
C.L. : Sur le plan constitutionnel, aucun. Il peut en revanche, et avec des limitations devant le juge administratif, invoquer devant les juges de droit commun le non-respect de la constitution.
R.E. : En quoi le principe de précaution vous semble-t-il limité ?
C.L. : Il est limité pour quatre raisons. D’abord, il ne concerne pas la santé alors que ce mot figurait dans l’une des versions antérieures. Elle est exclue. Un pesticide peut être jugé mauvais pour les abeilles. Dans ce cas, au nom du principe de précaution, en amont de son autorisation, les pouvoirs publics ont le pouvoir de l’écarter. Mais si le risque pour la santé est envisageable (“grave et irréversible” comme pour le dommage qui pourrait être causé à l’environnement, ndlr), ils ne peuvent s’appuyer sur cet article pour le suspendre. Bien évidemment, c’est une illustration car aujourd’hui de tels produits auront de toute façon, au nom de la santé, de plus en plus de restrictions et leur autorisation est régie par le droit communautaire. En deuxième lieu, l’article 5 n’engage que la responsabilité des autorités publiques ayant un pouvoir de police administrative a priori. Elles peuvent intervenir avant la phase d’application à grande échelle d’un produit ou d’une activité. Mais ceux qui connaissent le mieux les dossiers sont les entreprises privées. Or elles n’encourent pas de risques. C’est quand même très restrictif. Troisième point, la loi pourra limiter le champ d’application du principe de précaution et la référence aux compétences de chacun est faite, par exemple, pour interdire aux maires de prendre des arrêtés anti-OGM. Enfin, les mesures à prendre et les procédures d’évaluation sont à la charge de l’État. D’où cette volonté de limiter au maximum les possibilités d’application.
R.E. : En quoi les recours par rapport au principe de précaution vous paraissent-ils limités ?
C.L. : Les recours sont toujours possibles, mais c’est le pot de terre contre le pot de fer… Et un citoyen ne peut pas reprocher à l’entreprise à l’origine du dommage de ne pas avoir fait appliquer en amont le principe de précaution puisque, l’article 5 ne la concerne pas et que sa responsabilité n’est alors pas engagée. Enfin en cas de dégâts, l’entreprise aura un devoir de réparation selon les conditions définies par la loi en conformité avec l’article 4. Lequel est moins contraignant que le principe pollueur-payeur.
R.E. : Concrètement, pour le monde agricole est-ce que la charte de l’environnement va changer quelque chose, inciter à plus de vigilance ?
C.L. : Non, les lois qui s’inspireront de la charte ne conduisent pas à un cadre réglementaire plus rigoureux. Le bon exemple est quand même l’actuelle loi sur l’eau. La contribution des agriculteurs à la réparation des dommages causés par leur activité est minimisée. La charte de l’environnement risque de n’être que de la poudre aux yeux.