Référence Environnement : Quel est l’état des lieux des cahiers des charges dans la filière pomme de terre ?
Aymard de Montigny : La filière pomme de terre a mis très rapidement en place des cahiers des charges. Cela tient en partie de l’absence d’organisation commune de marché pour ce produit qui oblige à la réactivité. Le virage dans le développement des cahiers des charges date de 1992 lorsque les Hollandais ont annoncé qu’ils allaient diviser leur niveau d’intrants par deux et que les Anglais ont commencé à mettre en place des protocoles de bonnes pratiques. En comparant ce qui était fait dans ces pays, nous nous sommes aperçus que les producteurs français se situaient déjà à des niveaux élevés d’exigences en matières de pratiques. Il fallait donc le faire savoir.
D’où l’élaboration du premier guide des bonnes pratiques en 1994. Nous avons concrétisé cet engagement en 2000, avec la mise en place de la norme Afnor NF V 25-111 qui va du choix de la parcelle jusqu’à la mise en vente. Une première dans le secteur agricole. Aujourd’hui, cette norme concerne environ la moitié de la production française vendue en frais sur le marché intérieur. Alors même qu’elle découle d’une démarche volontaire, cette norme est rigoureuse : elle demande au minimum un audit par un organisme certificateur tous les trois ans.
R.E. : Comment ces cahiers des charges ont transformé les pratiques des agriculteurs ?
A. de M. : Ils ont permis de baisser les intrants de près d’un tiers et de rendre plus technique la culture de la pomme de terre. Autrefois, les négociants commercialisant les produits, n’avaient pas de service technique. Aujourd’hui ils en disposent presque tous, Arvalis-Institut du végétal a mis en place des outils de diagnostics… Les agriculteurs ont réduit les quantités apportées en fongicides, choisissent des variétés résistantes aux maladies, adoptent des rotations plus longues pour préserver l’état sanitaire du sol…
Si les cahiers des charges ne garantissent pas de valorisation supplémentaire pour les producteurs, ils confortent les débouchés. Sans oublier que raisonner les pratiques doit permettre d’économiser des intrants. Aujourd’hui, la France est devenue le premier pays européen exportateur de pommes de terre passant, en dix ans, de 400 000 à 1 million de tonnes de produits exportés par an.
R.E. : En partenariat avec le secteur des pommes, maïs doux et des maraîchers bretons, vous avez finalisé la traduction du référentiel européen EurepGap. Pouvez-vous nous expliquer le travail réalisé ?
A. de M. : EurepGap s’est développé à partir des années 2000, concernant au départ uniquement les fruits et légumes frais. Dans cette démarche, seule la production est certifiée, et non l’exploitation dans son ensemble. Il a été élaboré par l’aval de la filière, comme la grande distribution, majoritairement des pays du nord de l’Europe. Les producteurs français peuvent donc être confrontés à des demandes de respect du référentiel EurepGap s’ils exportent vers ces pays.
Conçu sans que les producteurs ne soient associés aux discussions, ce référentiel diffère de l’approche française, où l’amont comme l’aval participe aux débats. C’est un des premiers problèmes que posait ce référentiel aux filières exportatrices. Or, pour ce qui nous concerne, la norme Afnor répond quasiment à tous les points du référentiel EurepGap et nous voulions qu’il y ait une correspondance quasi automatique. Ce qu’a refusé Eurep. D’autre part, certains producteurs n’ont pas reçu la certification avec des auditeurs et ont été acceptés par d’autres à cause d’une divergence d’interprétation française du référentiel anglais ! Pour ces raisons, EurepGap était difficilement applicable en l’état. En s’associant, dans un groupe pilote France, avec la filière pommes, légumes et maïs doux, nous avons entamé un travail de traduction française du référentiel et d’articulation des différents référentiels existants.
Le référentiel EurepGap
EurepGap est un référentiel de bonnes pratiques agricoles élaboré à la fin des années 90 par l’agro-industrie des pays d’Europe du Nord, sans concertation avec les agriculteurs. Il concerne les fruits et légumes frais mais pourrait s’étendre à d’autres productions. Il intéresse surtout les producteurs exportateurs vers l’Europe du Nord, l’aval de la filière française ne l’exigeant pas. La certification ne donne pas de label de qualité.
R.E. : Quels sont les résultats obtenus ?
A. de M. : Les experts filières ont décortiqué tous les points du référentiel EurepGap, en associant les organismes certificateurs. Un travail très lourd car les mots ont une signification différente dans les pays. D’ailleurs, ce problème de traduction peut induire des disparités dans le niveau des exploitations européennes certifiées EurepGap. Nous avons fini la traduction début de l’été 2004, validée par Eurep en août. Néanmoins, des points d’achoppement demeurent, notamment sur les phytosanitaires. Le référentiel demande en effet de respecter les limites maximales de résidus (LMR) du pays importateur. Or, dans l’attente d’une harmonisation, les LMR peuvent différer d’un État membre à un autre et les producteurs ne savent pas forcément quelle sera la destination de leur récolte au moment de la mise en culture. EurepGap impose également que les producteurs n’utilisent que des produits phytosanitaires homologués. Or, l’Europe est en pleine procédure de réhomologation des produits qui laissent pour l’instant certaines cultures ou certains usages sans solution phytos. Ces problèmes dans l’application d’EurepGap ne sont pas nouveaux, mais personne ne les avait auparavant soulevés. Cette traduction était une première pour Eurep. D’autres pays, comme la Hollande ou l’Espagne devraient suivre.
R.E. : Cela va-t-il augmenter le nombre de producteurs “eurepgapisés” ?
A. de M. : La grande distribution française n’exige pas ce référentiel qui reste dans le domaine de l’exportation vers les pays du Nord. Donc, son développement devrait être limité à cette zone. Néanmoins, les producteurs répondant à la norme NF V25-111 devraient pouvoir facilement obtenir la certification EurepGap, d’autant plus que le guide technique sur lequel s’appuie la norme va être réactualisé dans les prochains mois. Toutes les filières fruits et légumes peuvent désormais bénéficier de ce travail collectif. À noter la démarche du secteur maïs doux qui a réussi à conformer les exigences de la “Charte Maïs doux” avec la majorité de celles d’EurepGap.
R.E. : Quelles sont les nouvelles attentes de l’aval et des consommateurs ?
A. de M. : La problématique environnementale est bien maîtrisée, les plans de surveillance mis en place par le CNIPT et les pouvoirs publics montrant que la pomme de terre au stade consommateur contient peu de résidus. Les consommateurs se tournent maintenant vers les allégations nutritionnelles et demandent à ce que les indications sur les emballages relatives aux préconisations d’usages soient prouvées. Autres thèmes forts pour l’interprofession : former les chefs de rayons de la grande distribution de manière à ce que les produits soient livrés aux consommateurs en bonnes conditions pour éviter une dégradation de la qualité des lots en rayons. L’objectif prioritaire étant de préserver la qualité du produit.
Témoignage
Jean-François Proust, responsable qualité et environnement au Cerafel de Bretagne
Le Comité économique fruits et légumes de Bretagne (Cerafel), qui possède la marque Prince de Bretagne, a participé à la traduction du référentiel EurepGap. “La Bretagne produit 650 000 tonnes de légumes frais dont 300 000 tonnes de choux-fleurs et 170 000 tonnes de tomates. Plus de la moitié de la production de choux-fleurs part à l’exportation et 20 % d’entre elles concernent les pays d’Europe du Nord qui demandent la certification EurepGap”, explique Jean-François Proust, responsable qualité et environnement au Cerafel. Les organismes producteurs bretons adhèrent (ou sont en processus d’adhésion) au référentiel “système” AgriConfiance Qualité Environnement. Cerafel a essayé de faire coïncider au maximum ce dernier cahier des charges avec EurepGap. “Les points spécifiques à EurepGap sont désormais pris en compte dans les démarches qualité des organisations de producteurs.” D’ici à février 2005, environ 5 % de la production de légumes devraient être “eurepgapisés”. Aujourd’hui, trois groupes représentant 50 producteurs (2,5 % de la production) ont déjà été audités. “Ce qui ne veut pas dire que ce nombre sera en constante progression. Cette demande reste délimitée au pays du nord de l’Europe. Face à la multiplication des demandes clients, nous nous devons d’être prudents et de bien expliquer les pratiques culturales des exploitants et leur réalité.” Ce qui est d’autant plus important, dans une période de crise pour la filière choux-fleurs.