L’utilisation des plantes transgéniques sur le territoire national inflamme les discussions. La mission d’information parlementaire, mise en place en octobre 2004 par le président de la République pour démêler les enjeux de l’utilisation des OGM en France, a désormais du fil à retordre. Car après les auditions privées d’organismes de recherche, des commissions spécialisées, des organisations agricoles, des défenseurs de l’environnement et des consommateurs, après l’animation de huit tables rondes sur les enjeux des OGM qui se sont déroulées du 19 janvier au 17 février, les députés avouent leurs confusions. “Cela fait deux mois que nous vous auditionnons, et nous n’y voyons toujours pas plus clairs”, a déploré Jean-Yves Le Déaut, président de la mission d’information parlementaire, aux intervenants de la table ronde sur les enjeux environnementaux des plantes transgéniques, le 8 février. Sans compter les prises de positions politiques tranchées et opposées au sein même de la mission…
Pourtant, les enjeux de ce débat sont de première importance. “L’objectif est de mettre en place un texte fondateur sur les biotechnologies, incluant la transposition nationale de la directive 2001/18 CE sur la dissémination des OGM dans l’environnement”, indique Jean-Yves Le Déaut. Une transposition attendue par les professionnels puisqu’elle doit fournir un cadre juridique à la culture de plantes transgéniques.
Les OGM, source de compétitivité…
Cette passion perceptible lors des débats tient notamment des multiples enjeux des OGM. Les semenciers, soumis à la problématique de préservation de la compétitivité de leurs entreprises, ont réaffirmé leur volonté de voir ce dossier trouver une issue rapide en France. “Nous payons deux fois la recherche avec l’investissement annuel et les royalties versées pour l’utilisation de gènes brevetés. Nous réfléchissons à délocaliser nos laboratoires”, a alerté Daniel Chéron, directeur général adjoint de la société semencière française Limagrain. Même son de cloche chez certains agriculteurs, inquiets de la mondialisation des marchés et de la baisse des prix. Pour Xavier Belin, président de la Fédération des oléoprotéagineux (plantes fournissant de l’huile et des protéines en quantités exploitables : colza, tournesol, soja…), “en jouant sur le coût des intrants, les produits OGM sont plus compétitifs. Les différences sur ce poste vont de 50 à 120 euros par hectare entre des cultures transgéniques et conventionnelles”.
D’ailleurs, pour Philippe Pasteau, directeur scientifique de Monsanto, “en 2004, les surfaces OGM ont progressé de 20 % dans le monde. Ces chiffres montrent que l’agriculteur y trouve un intérêt”.
…mais des risques pour l’environnement
Pourtant, les baisses d’intrants sont controversées. “En Argentine, 99 % du soja est OGM et les quantités d’herbicides utilisés ont augmenté”, affirme Arnaud Apoteker de Greenpeace France. Les risques pour l’environnement ont pris le pas sur les risques sanitaires, balayés par les affirmations de l’Afssa sur l’innocuité pour l’homme de l’ingestion de plantes génétiquement modifiées. Pour les Amis de la terre, les risques sur l’écosystème sont effectivement avérés, “avec la dissémination du gène. Des études ont montré des instabilités de transgènes, explique Jordi Rossinyol. Il existe d’autres problèmes environnementaux : la modification du biotope (1) par l’intégration d’une plante plus compétitive, les risques d’apparition de supers adventices (mauvaises herbes), la pollution de la culture suivante. Nous demandons que le gouvernement mette en place une législation, avec la possibilité de création de zones sans OGM, une interdiction des cultures transgéniques près des zones protégées, et la mise en place d’assurance de type pollueur-payeur”.
Les règles de coexistence entre cultures transgéniques et conventionnelles, notamment celles avec les cultures biologiques, devront de toute façon être abordées dans les conclusions de la mission. Ainsi que la liberté de choix du consommateur.
Les citoyens-décideurs
Certaines filières agricoles rejoignent les consommateurs quant à leur volonté d’étendre l’étiquetage aux produits carnés pour lesquels les animaux ont été nourris avec des OGM. “Par manque d’information consommateur, le risque est de voir apparaître une crise médiatique qui mettra en péril nos entreprises”, insiste Olivier Kriegk, directeur scientifique de Terrena (coopérative agricole). Le débat sur les OGM a stigmatisé les peurs des citoyens après l’affaire du sang contaminé et la crise de la vache folle. Et pose en réalité d’autres questions, plus larges : vers quel type d’agriculture la France veut-elle aller ? Comment intégrer les citoyens aux prises de décision ? Quelle est la place de la recherche publique et des disciplines montantes que sont l’agriculture durable et l’écologie ?
Jean-Yves Le Déaut, qui affichait au démarrage des débats l’objectif ambitieux de faire des propositions de modification des textes européens – “qui pourrait, par exemple, faire évoluer les seuils de tolérance des OGM dans les aliments” – réussira-t-il à répondre à toutes ces questions, posées par les industriels, le monde agricole, et les citoyens ? Réponse courant avril.
(1) En écologie, un biotope est un ensemble d’éléments caractérisant un milieu physico-chimique déterminé et uniforme qui héberge une flore et une faune spécifique.
Recherche
Le transfert de gène à des bactéries du sol est possible
Dans le cadre du programme de recherche sur l’impact des biotechnologies dans les agro-écosystèmes, l’équipe de Pascal Simonet du CNRS de Lyon étudie le passage des transgènes (1) depuis la plante OGM aux bactéries du sol. Si les gènes des plantes sont très rarement transférés aux procaryotes (2), la situation est un peu différente avec une plante transgénique dont le transgène contient des gènes de bactéries, comme certaines résistances aux antibiotiques ou aux herbicides. Cette équipe a montré que des plants de tabac transgéniques infectés par la bactérie Ralstonia solanacearum, sont susceptibles d’être colonisés par une autre bactérie du sol Acinetobacter sp. Cette dernière a la capacité d’intégrer, par transformation génétique naturelle, des gènes exogènes et s’il y a homologie de séquences de les intégrer dans son génome. Dans ces conditions l’équipe a pu montrer que la bactérie “récupérait” in situ le transgène de la plante et exprimait le gène de résistance à l’antibiotique. Pascal Simonet relativise toutefois le risque. Les fréquences sont faibles et ces gènes de résistance aux antibiotiques existent dans la nature. Le risque viendrait de construction génétique de plantes qui seraient faites avec des gènes codant pour la résistance à de nouveaux antibiotiques. “Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui”, reconnaît Pascal Simonet. Une étude est en cours sur le transfert de gènes de maïs Bt (3) cultivés depuis dix ans sur une parcelle, aux bactéries du sol.
(1) Un transgène est la séquence isolée d’un gène, utilisée pour transformer un organisme, lors de la mise en œuvre de la transgenèse. Souvent, mais pas toujours, le transgène provient d’une espèce différente de celle du receveur. La transgenèse est une technique consistant à introduire un ou plusieurs gènes dans des cellules (par exemple végétales ou animales) menant à la transmission du gène introduit, ou transgène, aux générations successives. L’organisme transformé est appelé organisme génétiquement modifiés (OGM), ou organisme transgénique.
(2) Le terme procaryotes (du grec pro, avant et caryon, noyau) est d’abord une référence à une structure cellulaire particulière, sans noyau ni autres organites. Les cellules procaryotes sont regroupées sous le terme générique de bactéries.
(3) Le maïs Bt est un maïs qui a été modifié génétiquement pour lui conférer certaines caractéristiques. Ces maïs sont résistants à certains herbicides et l’incorporation du gène provenant d’une bactérie, le Bacillus thuringiensis, lui permet de produire une toxine qui protège la plante de la pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis).