Faute de recette, trois ingrédients majeurs sont à utiliser sans parcimonie pour redonner du souffle au secteur de l’alimentation : la responsabilité partagée des producteurs au distributeurs, l’information/formation des consommateurs, et le contrôle éclairé des pouvoirs publics.
Les industriels : innover, contrôler, informer !
Aucun doute pour eux : la sécurité des aliments ne se coupe par en tranche.
La responsabilité est inévitablement partagée, de la recherche des industriels de l’agrochimie à la mise en rayon. « Les trois à quatre firmes qui font aujourd’hui le marché de l’agrochimie se doivent d’être pro-actives, a introduit Emmanuel Bulstraen, responsable monde de la firme BASF. Et un seul membre, s’il défaille, peut mettre à mal l’ensemble des filières ». Avis relayé par Jean-Marie Meulle, directeur de la coopérative normande Agrial. Son obsession : « non pas la gestion de crise, mais la capacité à ne pas générer de crise ». Une obsession qui se soigne avec un cocktail associant la maîtrise des procédures (HACCP en tête), le management et le contrôle. Le tout en combattant le complice n° 1 de la crise : la routine.
Mais comment valoriser les engagements pris en amont, face à ce que Frédéric Bouisset, patron de Fleury Michon qualifie de carré d’as que souhaite détenir le consommateur, à savoir « le prix, la sécurité, l’équilibre alimentaire et la qualité » ?
L’innovation seule semble à même d’apporter la différenciation nécessaire, mais pas toujours suffisante. Fleur de colza, une huile produite selon un cahier des charges débutant sur les parcelles des agriculteurs, associant l’image de la qualité et du terroir, constitue un exemple convainquant. « Elle fait maintenant l’objet d’une contractualisation sur 10 000 ha, a précisé Yves Delaine, directeur général de Lesieur (filiale de Sofiprotéol, organisme financier des producteurs d’oléagineux). Son succès est passé par la maîtrise de l’identité préservées, le contrôle par des organismes tiers, des cahiers des charges toujours plus exigeants, y compris en matière d’environnement ». Le tout avec une répercussion du surcoût, puisque Lesieur dispose de 33 % du marché de l’huile de colza en volume mais de 48 % en valeur.
Le rôle des Pouvoirs publics
Et les pouvoirs publics dans tout ça ? Pour Paola Testori Coggi, directrice de la Direction générale sécurité alimentaire à la Commission européenne, « leur rôle est de définir le cadre législatif et de garantir une sécurité alimentaire la meilleure possible ». « Il continuera à exister des risques, et nous continuerons à trouver, car nous continuerons à chercher », s’est-elle exclamée, soulignant au passage : « les médias ne nous aident pas, qui dénoncent plus volontiers qu’ils expliquent ». Le dispositif de sécurité de l’Europe s’articule autour de la Food Law, « une belle pièce législative », estime Paola Testori Coggi, et du 2e pilier de la Pac, « qui offre une meilleure définition de responsabilités nationales ».
Le lien entre national et international entre pleinement dans le champ de vision de Jean-Luc Angot, directeur à l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale). « L’augmentation du risque sanitaire, explique-t-il, accompagne la mondialisation. Ainsi, 75 % des maladies émergentes proviennent de zoonoses (1), dont le réservoir est en grande partie constitué par la faune sauvage ». Prenant l’exemple de la grippe aviaire, il souligne l’intérêt de la séparation entre les instances d’évaluation et de gestion des risques.
Séparer évaluation et gestion des risques
« En France, illustre Jean-Luc Angot, l’Afssa, chargée de l’évaluation du risque grippe aviaire, n’a pas préconisé de confinement des volailles, alors que l’Etat a pris la décision. « Il n’y a pas de risque zéro », a ré-enchéri Philippe Vasseur, qui fut ministre de l’Agriculture de 1996-1997 en pleine crise de l’ESB. « Un cas d’école sur la responsabilité », résume-t-il. Les quatre ministres concernés par cette crise, ont été assignés en justice par des familles des dix victimes de la maladie en France. Lesquelles sont été finalement déboutées par la Cour de Justice de la République. L’affaire du sang contaminé, celle de l’amiante, ont bouleversé les pratiques politiques. Elles ont contribué à la mise en place d’un triptyque entre le politique, l’expertise, le contrôle. « Les politiques doivent s’appuyer sur des avis scientifiques, mais une certitude chasse l’autre. La presse, pour sa part, privilégie le risque majeur, l’alerte. Et comment être sûr que les décisions sont appliquées ? Il y toujours des gens qui transgresserons, d’où la nécessité des contrôles Il y a donc respect d’un degré de sécurité maximale, et c’est mieux comme ça », conclut Philippe Vasseur. Indispensable, en effet, car à la moindre alerte, la crise de confiance est immédiate. Et se traduit, immanquablement, par une crise économique.
Limiter l’usage des produits chimiques
Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Pas vraiment, si l’on en juge par les propos de Corinne Lepage, qui est venue rompre la belle unanimité en matière d’appel à la responsabilité partagée. « Les déclarations d’intention sont nécessaires, mais pas suffisantes, a-t-elle fustigé. Il faut partir sur de bonnes bases, c’est-à-dire l’amont, chacun étant responsable sur son domaine. Or, en matière de sécurité alimentaire, qu’en est-il des effet de la chimie sur le moyen et le long terme ? » s’est inquiétée la directrice de Vigéo, ex-ministre de l’Environnement. Avant de regretter la faiblesse de l’expertise écotoxicologique en France et d’en appeler à un renforcement du contre-pouvoir des mouvements de consommateurs en France, actuellement trop dispersés. « Il faut, a-t-elle résumé, convaincre le consommateur qu’il y a un lien direct entre le coût de l’alimentation et le coût de la santé ».
Directement interpellé, Emmanuel Bulstraen a souligné que les systèmes d’homologation évoluait au rythme de la science, et que le coût d’inscription d’une molécule était passé de 30 M€ à 200 M€ en 25 ans. L’un des débats de fond était alors ébauché, sur la réduction des intrants que permettrait une agriculture intégrée. Avec en ligne de mire notamment tous les produits endocriniens.
Quels rôles et quelles complémentarités entre les agences nationales et européennes de sécurité sanitaire des alimentaires
Echange entre Catherine Geslain-Laneelle, vice-présidente de l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments, créée en 2002) et Pascale Briand, directrice générale de l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, créée en 1999).
L’Agence européenne et nationale ont des missions proches : fournir des avis scientifiques et des éléments d’évaluation aux gestionnaires des risques que sont les pouvoirs publics pour l’alimentation humaine et animale, la sécurité alimentaire, OGM, santé des plantes, bien-être animal… Des structures indépendantes, dont l’expertise s’appuie sur une base collégiale.
Quelques points différencient cependant l’Efsa de l’Afssa : « Contrairement à l’Afssa, nous ne pouvons pas être saisis directement par les consommateurs, développe Catherine Geslain-Laneelle, vice-présidente de l’Efsa. Notre responsabilité couvre la veille sanitaire et le risque alimentaire, pour lesquels nous nous appuyons sur les Etats, auxquels nous ne substituons en aucun cas ».
Pascale Briand précise également : « Nous sommes davantage centrés sur l’évaluation des risques qui va, selon la formule consacrée, de la fourche à la fourchette. Nous mobilisons des experts des établissements publics, plus des laboratoires qui nous sont propres. Nous avons aussi à communiquer vers les acteurs professionnels et les citoyens. Une de nos missions est d’élaborer cette communication, pour que chacun comprenne les enjeux ».
L’une des principales missions de l’Efsa consiste à harmoniser les points de vue. Et ce n’est sans doute pas la plus simple. Les deux dirigeantes se sont interrogées sur les limites de la concertation à 26 pays. « 80 % de la réglementation dans le domaine alimentaire trouve leur origine dans les textes européens. Il convient donc d’inventer d’autres méthodes de travail ». Avec une volonté : travailler en amont des avis divergents, tout en conservant la richesse offerte par la confrontation. Par exemple avec des experts intervenant sur des sujets transversaux.