Des agriculteurs engagés
Lorsque Laurent Rousse s’investit, ce n’est pas à moitié. Il a pris les devants en aménageant “librement”, sans subvention, son exploitation. “Les subventions sont bienvenues ! Mais je devais le faire pour moi. La rivière Péron se trouve juste derrière ma cuve de gasoil. Avec les débordements, j’ai l’eau dans la cour. Maintenant, mon exploitation est propre et sans danger.” Laurent Rousse a maintenant une aire de remplissage qui lui permet de recueillir l’eau de rinçage dans un phytobac. Juste à côté se trouve son local phyto, sec et aéré.
Pour Hugues Brault, agriculteur et maire de la commune de Landifay, les préoccupations environnementales ont toujours été présentes. “En tant que maire, j’insistais beaucoup sur le paysage et l’assainissement. Il est plus facile de donner des leçons après avoir balayé devant sa porte ! Mais c’est aussi une forme de respect pour mes voisins. Surtout lorsqu’on se trouve en plein centre du village.” Avide de communication sur ce projet de lutte contre la pollution de l’eau, Hugues Brault multiplie les interventions. “Il faut le montrer ! Les gens sont demandeurs car ils prennent progressivement conscience qu’ils ont une fausse image du monde agricole. Les démarches auprès des non-agricoles, politiques plus particulièrement, servent à promouvoir une image vraie de la profession. C’est aussi et surtout pour cela que nous agissons.” Cet agriculteur a installé une plate-forme qui réunit tous les aménagements utiles à la lutte contre les pollutions ponctuelles : phytobac, bac décanteur, local phyto, bac de rétention global (hydrocarbure, engrais liquide et effluents phytosanitaires).
Une collaboration remarquable
À l’image de ces deux hommes, les agriculteurs de la vallée du Péron se sont très vite mobilisés. Cette mobilisation prend sa source dans la sauvegarde du Péron, en contrebas des exploitations. “Les eaux de rinçage coulaient le long de la vallée, coupaient la route et finissaient dans le Péron. Les cuves de solution azotée sont vieilles de 30 ans. Si une vanne casse, c’est une catastrophe écologique pour la rivière, mais aussi financière pour l’agriculteur”, explique Jean-Pierre Wathy, responsable du service agro-environnement de la coopérative Cerena et instigateur du projet Agripéron.
Le second moteur de cette forte implication des agriculteurs est une formidable collaboration entre les partenaires du projet. “Le partenariat Chambre d’agriculture- coopérative-Arvalis s’avère très constructif et fructueux”, apprécie Bruno Guerre de la Chambre d’agriculture de l’Aisne. Une dynamique s’installe alors sous l’impulsion de cette forte coopération. “Il y a eu une véritable dynamique de groupe qui a poussé les agriculteurs à s’équiper, même les plus réticents d’entre eux”, déclare Jean-Pierre Wathy.
Un important travail de sensibilisation
À l’origine du projet, une ferme pilote, créée à Chevresis-Monceau en 2000 sous la tutelle de Jean-Pierre Wathy. En partenariat avec la Chambre d’agriculture, la MSA et Cerena, Charles Brueder équipe son exploitation : aire de remplissage et de lavage, vanne programmable, phytobac, bacs de rétention pour les cuves d’hydrocarbure et d’azote, local phytosanitaire.
Plus de 2000 agriculteurs visitent le site et l’impact sur les pratiques agricoles est immédiat. Des dizaines d’installations de phytobacs et d’aire de lavage suivent dans l’Aisne. “C’était spectaculaire, décrit Jean-Pierre Wathy. Nous voulions étendre ces pratiques agricoles sur l’ensemble du bassin versant. J’ai alors présenté le projet à plusieurs reprises jusqu’à entendre parler du programme européen Life Environnement. Notre projet correspondait parfaitement à la politique d’investissement de ce programme. Ils cherchaient à créer des espaces de démonstration des bonnes pratiques.”
Pollutions ponctuelles
Les 14 000 ha du bassin versant du Péron abritent 120 exploitations. 76 agriculteurs participent finalement au projet. Tous les agriculteurs en bordure du Péron se sont engagés. Des analyses de qualité de l’eau sont réalisées sur sept points de prélèvement. Elles concernent le Péron et sa nappe souterraine. Les mesures sont répétées tous les deux mois pour le suivi. Les premiers résultats révèlent l’importance des pollutions ponctuelles. “En éliminant les pollutions ponctuelles, on réduit les pollutions de près de 90 %. Ces analyses nous ont fourni une assise concrète pour entamer une discussion avec les agriculteurs”, explique Jean-Pierre Wathy. La réaction des agriculteurs est immédiate. “Les analyses nous ont frappés ! On a retrouvé des matières actives datant de plus de vingt ans dans la rivière, juste en bas de chez nous”, commente Hugues Brault.
La démarche Agripéron
Deux thèmes guident ce projet : l’azote et les produits phytosanitaires. Sur le thème de l’azote, le travail est orienté sur l’ajustement de la fertilisation azotée et l’utilisation de cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan). Sur le thème des produits phytosanitaires, l’aménagement d’une aire de rinçage avec phytobac permet l’élimination quasi complète des pollutions locales. Le projet s’articule bien entre les quatre partenaires : Cerena, la Chambre d’agriculture de l’Aisne, Arvalis et Infoterra. Après un point fait sur la situation environnementale, les outils d’Arvalis (Aquasite, Aquaplaine, Aquavallée, Aqualéa) permettent un diagnostic complet des sources de pression sur la qualité des eaux. Fort de ces résultats, les encadrants de la Chambre d’agriculture et de Cerena prennent le relais. Ils élaborent, avec les agriculteurs, les actions à mener pour lutter contre la pollution.
Les agriculteurs s’engagent, par écrit, à mettre en place les aménagements convenus et à suivre les bonnes pratiques phytosanitaires. L’étape actuelle est la mise en œuvre de ces actions : les agriculteurs Agripéron sont aujourd’hui tous équipés ou en cours d’équipement. Grâce au conseil général, un CAD “spécial Agripéron” a été mis en place. Ce CAD permet un financement de 50 % du bassin de rétention (hydrocarbures, engrais liquide et effluents phytosanitaires) et de l’aire de remplissage. Au final, cette subvention participe à hauteur de 25 % du financement de l’ensemble.
Reconnu au niveau européen comme un projet livrant des résultats concrets, une visite de la Commission européenne et du ministre de l’Agriculture est prévue pour mai 2007, date de fin du projet. L’étape suivante est une diffusion du projet à l’échelle européenne. Au niveau national, quelques industriels aimeraient favoriser cette agriculture “propre”. L’agriculture issue du bassin versant du Péron pourrait donc être gratifiée d’un label, ou participer à une charte de bonne production.
En France, les analyses de pesticides dans le milieu naturel révèlent que la contamination touche aussi bien les eaux superficielles que les eaux souterraines. En 2004, pour les eaux de surface, 49 % des points de mesure livrent une qualité moyenne à mauvaise. En eaux souterraines, 27 % des points nécessiteraient un traitement spécifique d’élimination des pesticides s’ils étaient utilisés pour la production d’eau potable. Ces mesures entrent dans le contexte de la directive cadre européenne : atteindre le “bon état écologique” des ressources en eau pour 2015.
Laurent Rousse agriculteur Agripéron ayant entrepris les aménagements sans subventions
“C’était une obligation pour moi. Le Péron borde mon exploitation. Je me sentais responsable car en prise directe avec le problème de pollution ponctuelle. Pourtant réfractaire à toutes ces mesures environnementales, je voulais travailler en étant propre. C’est un plus pour la pérennité et pour la transmission de mon exploitation. De toute façon, il va falloir y être. Dans peu de temps ces mesures seront indispensables. Alors autant prendre les devants.”
Hugues Brault agriculteur Agripéron et maire de la commune de Landifay
“Je suis rentré naturellement dans le projet Agripéron. L’environnement n’est pas une préoccupation récente. Plus concrètement, j’avais besoin d’une aire de lavage, autre qu’un coin boueux. Étant en plein centre du village, avec 13 voisins, je me devais aussi de m’intégrer dans l’environnement pour le bien vivre de la communauté, mais aussi pour la profession. On agit contre la pollution ! Il faut communiquer sur cette prise de conscience et sur les efforts qui sont faits, notamment dans cette vallée.”
“Ces installations s’intègrent bien dans l’exploitation. Elles sont reproductibles”, estime Jean-Pierre Wathy. Quatre installations majeures pour éliminer les pollutions ponctuelles à la ferme : aire de remplissage, bac phyto, bassin de rétention et local phyto. Au total, un investissement de 30 000 à 40 000 euros, selon l’entreprise “Le retour sur investissement est immédiat. On a la sécurité sur l’exploitation et l’environnement n’est pas mis en danger. En plus, l’image de l’exploitation et de la profession y gagne !”, affirme Hugues Brault.