Nous sommes en plein cœur du Pays d’Auge, une partie de la Normandie aux sols très hétérogènes et au paysage de bocage accidenté. Les 180 hectares de l’exploitation se répartissent sur ces terrains dont la nature argileuse ne permet de faire pousser que de l’herbe. Cette nature de sol, peu enviable, explique que nombre de petites exploitations ont disparu, notamment celles situées sur les pentes, et ont été reprises souvent comme résidences de non agriculteurs. Et Didier Pellerin de déplorer le changement d’un paysage qui n’avait pas été trop malmené jusqu’à présent. Les parties vallonnées disparaissent sous les friches ou, dans le meilleur des cas, dans les reboisements effectués par des propriétaires.
Des charolaises en Normandie
Didier Pellerin veut concilier son activité d’entrepreneur agricole et l’entretien du paysage. S’il n’est pas issu d’une famille d’agriculteurs, il a eu très tôt l’envie d’exploiter un domaine agricole que son père avait acquis et confié à un fermier. Guidé par son goût de la nature, de l’élevage et par sa volonté de valoriser le domaine familial, Didier Pellerin passe un diplôme d’ingénieur agricole.
Puis il devient conseiller agricole avant, finalement, de reprendre l’exploitation avec son épouse en 1992. Il élève des bovins de race charolaise qu’il revend en partie sous forme de viande via un groupement de producteurs (Normandie viande bio) pour le circuit de la grande distribution ou à des particuliers sur l’exploitation, activité gérée par son épouse. Une autre partie est revendue en vif à des éleveurs engraisseurs. À cela s’ajoute un verger de pommiers à cidre qu’il a replanté progressivement, pour atteindre aujourd’hui 17 hectares et dont la production, de 100 tonnes actuellement, monte en puissance.
Préserver le paysage
Très vite, Didier Pellerin augmente la surface de son exploitation. Non seulement il saisit l’opportunité de reprendre les terres que lui propose un agriculteur qui part à la retraite, mais il veut aussi redonner vie à des vallons abandonnés que seuls des animaux peuvent entretenir par leur pâture. Même si cela complique l’exploitation, il est heureux de contribuer à la préservation du paysage.
L’activité bio est, au moins au départ, informelle. Le système d’exploitation est extensif, du fait de la nature des sols et de la situation des parcelles, qui ne permettent que prairies permanente et vergers de pommiers à cidre. Donc peu de recours aux intrants, que ce soit engrais ou pesticides. Alors pourquoi ne pas profiter de cette situation en l’entérinant par une démarche officielle en agriculture biologique et permettre une valorisation de la production (la viande bio se vend entre 10 et 20 % plus cher que la viande conventionnelle) ? Le choix de la reconversion est fait et, le 1er janvier 2000, l’exploitation est certifiée bio par l’organisme Ecocert. « Cela n’a pas bouleversé nos pratiques. J’ai arrêté l’apport d’engrais minéral que j’épandais sur les bonnes parcelles, explique Didier, l’argent ainsi économisé m’a permis d’effectuer des amendements calcaires qui ont bien amélioré la qualité du sol et donc la pousse de l’herbe. Je n’utilise plus de désherbants chimiques, que j’appliquais parfois pour éviter l’envahissement de certaines parcelles par les broussailles. J’ai recours aujourd’hui aux techniques mécaniques. »
De l’herbe, rien que de l’herbe
Sur les animaux, Didier Pellerin limite les traitements antiparasitaires et antibiotiques, compensés par des méthodes plus douces, telle l’aromathérapie et d’autres procédés qu’il apprend lors de formations régulières. Des animaux bien sélectionnés, bien nourris, dans un environnement non stressant sont beaucoup plus résistants. Ils ne mangent que de l’herbe, celle des pâturages l’été et, l’hiver, sous forme de foin récolté sur l’exploitation, qui est ainsi autonome à 90 %.
En hiver, il donne seulement aux jeunes veaux et aux vaches allaitantes quelques compléments de céréales achetées dans la filière bio. Il s’est forgé une petite réputation en matière de sélection génétique, qui est une de ses passions. Il est arrivé à sélectionner des animaux performants pour la production de viande. Il a d’ailleurs obtenu des distinctions, tel le challenge des Sabots d’or de Bovins croissance.
Au niveau du verger de pommiers à cidre qu’il a entièrement planté (17 ha), pas de changement. Mais le cidre est vendu sans la mention biologique. « Le cidre est déjà considéré comme un produit de terroir. L’apposition d’un label biologique, qui serait un coût supplémentaire, celui de la certification, ne permettrait pas de valoriser davantage ce produit qui bénéficie déjà d’une AOC », précise Didier Pellerin.
Une évolution à surveiller
L’engouement actuel pour le bio ne fait que conforter Didier dans ses choix, même si peu d’aides sont accordées en comparaison avec l’agriculture conventionnelle. Didier a bénéficié de celles destinées à la reconversion, puis du crédit d’impôt annuel de 2 000 euros accordé à toute exploitation bio, quelle que soit sa taille. La région soutient financièrement la certification et l’achat de matériels spécifiques. Mais gros problème du côté de la Pac : les aides sont fondées sur les performances antérieures des exploitations et sur leur productivité, ce qui est contraire à la démarche bio et environnementale. D’où l’implication de Didier pour faire reconnaître au niveau de l’Europe les spécificités de l’agriculture biologique. Il voit pourtant le futur avec sérénité. Ses gros investissements commencent à être amortis et l’entreprise est arrivée à sa vitesse de croisière. Mais il reste vigilant par rapport à tous les changements qui s’opèrent.
• La ferme des Bruyères emploie trois personnes : Didier Pellerin, chef d’exploitation, son épouse associée à mi-temps et un salarié à plein temps.
• 180 hectares de prairies permanentes dont 17 de vergers à cidre.
• Près de 280 animaux dont une centaine de vaches allaitantes, le reste en veaux sous la mère, bœufs et génisses d’élevage.
Autres activités : exploitation d’un gîte rural, ferme de référence. Didier Pellerin est administrateur de plusieurs instances comme Interbio, l’interprofession biologique, et maire-adjoint de sa commune.
Didier Pellerin a investi, pour le chauffage hivernal, dans une chaudière à bois déchiqueté issu de la taille des haies. Elle alimente ses bâtiments et ceux des voisins, via un réseau de canalisations souterraines.
Pour cela, il a réaménagé de vieilles étables. Une déchiqueteuse a été achetée en Cuma (coopérative de matériel). Il réfléchit maintenant à l’installation de panneaux solaires.