La science interpellée
Antoine Messéan, responsable de l’unité de recherche Impacts écologiques des innovations en production végétale (Eco-Innov) à l’Institut national de la recherche agronomique est conscient des difficultés de l’exercice consistant à élaborer des systèmes de cultures innovants. La recherche a besoin de temps, dans un univers qui évolue de plus en plus rapidement, sous l’impact des politiques agricoles, des marchés ou encore du changement climatique. « Nous devons aussi extrapoler nos travaux aux besoins du terrain agricole, intégrer l’organisation spaciale des systèmes de cultures, prendre en compte la diversité des critères de l’agriculture durable ». L’environnement est entré en force dans les programmes de l’Inra. Mais cela ne suffit pas, estime-t-il. « Nous avons aussi, et c’est notre responsabilité en tant que recherche publique, à tester des systèmes de cultures en forte rupture, y compris si elles ne sont pas aujourd’hui viables économiquement ou réglementairement, mais pourraient l’être demain. De même, on peut imaginer de nouvelles innovations techniques ou génétiques avant même qu’elles soient mises sur le marché ».
Innover aussi dans le lien entre la recherche et l’agriculteur
C’est dans cet esprit qu’a été créé le Réseau mixte technologique « Systèmes de cultures innovants » (2007-2011). Sa vocation : faciliter les échanges de savoirs, de méthodes et intégrer la façon dont les innovations sont prises en compte par les agriculteurs, dans la pratique.
« Les innovations doivent toujours composer avec des pratiques bien ancrées », indique Claire Lamine, sociologue à l’unité Eco-Innov de l’Inra Versailles-Grignon. Elle analyse, dans le cadre du programme de recherche Gestion durable de la protection intégrée des cultures (GéDuPIC), les changements de pratiques des agriculteurs. « Adopter la protection intégrée, c’est mettre en œuvre un ensemble de techniques à effet partiel. Cela implique une vision assez globale qui n’est pas aisée pour un agriculteur non accompagné. Cela demande aussi du temps. Mais ce sont les démarches les plus progressives qui sont les plus robustes ». Elle souligne le rôle déterminant du travail en groupe : « Les agriculteurs peuvent se situer, définir où ils en sont par rapport aux autres, hiérarchiser les risques. Ils confortent leurs choix face à un monde professionnel pour l’heure plutôt sceptique et réticent à l’égard de la protection intégrée ». Le jugement est sévère, mais reflète le ressenti des agriculteurs engagés dans ces démarches.
Le nombre de structures économiques qui investissent dans les voies nouvelles sont pourtant à la fois plus nombreuses et résolues. Les groupes coopératifs régionaux comme Champagne Céréales qui annonce un objectif de 1 000 agriculteurs en agriculture raisonnée, ou Terrena, en Pays de Loire, qui prône l’éco-intensification sont des signaux forts. Les chambres d’agriculture sont elles aussi positionnées sur des projets innovants. Et les liens concrets se mettent en place entre toutes ces structures.
Ainsi, l’Inra devrait assurer la présidence d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS), annoncé pour la fin de l’année. Doté d’un budget, il conduira un programme coordonnant les compétences et les projets grandes cultures en lien avec les instituts techniques concernant à la fois les enjeux alimentaires, environnementaux et économiques. Un projet qui devrait s’ouvrir aux organismes économiques, via l’union des coopératives InVivo, à des chambres d’agriculteurs et des agences de l’eau. Les modes de production biologique, intégrée et intensive se sont longtemps opposés. Pourtant, ils peuvent se nourrir l’un et l’autre.
Conjuguer plutôt que séparer
En témoigne cet agriculteur du Tarn : « je cultive à la fois du bio et du conventionnel. L’observation des productions bios me permet de mieux maîtriser mes apports sur le reste de mon exploitation ». Dans le prolongement, l’utilisation de la lutte biologique est déjà la règle contre certains agresseurs, comme l’utilisation de variétés plus résistantes aux maladies. Les critères d’inscription des variétés intègrent de plus en plus ce paramètre. L’agriculture de conservation, fondée sur le semis direct, les semis sous couvert, l’utilisation de la rotation comme mode de contrôle des adventices ou des maladies… Autant de solutions aujourd’hui passées dans la pratique. D’autres se développent, qui tendent vers une meilleure gestion de la biodiversité.
La réduction des intrants s’inscrit d’ailleurs dans une logique économique. Le coût des phytosanitaires, celui des semences, mais surtout celui des engrais et de l’énergie justifie une gestion fine des applications.
Pour produire durable, consommer durable
« Arrêtons de faire le grand écart entre les attentes du citoyens qui intègre des préoccupations d’ordre éthique, et celles du consommateur » plus attentif à son porte-monnaie. La solution ? Des actions d’explication et d’information répétées en direction du consommateur, préconise le Conseil économique et social dans un avis rendu en juin.
Pour autant, Claire Lamine estime le pouvoir des consommateurs limité : « ils achètent ce que leur propose la grande distribution, qui est elle-même partie prenante d’un système verrouillé. » Certes, des expériences sont menées. Mais elles restent limitées. « Des ouvertures existent pour faire valoir leur choix, comme les circuits courts qui valorisent l’agriculture durable ou, dans certaines régions, la restauration collective ». « Des fraises à Noël ou des tomates en janvier, ce n’est pas franchement positif pour l’empreinte écologique des produits », souligne Jean-Claude Bevillard, secrétaire national de France Nature Environnement, pour qui les orientations alimentaires actuelles seront difficilement conservables. L’affichage de démarches responsables devrait aider à pousser la réflexion dans le bon sens. Surtout si elles sont relayées par une information, voire une éducation des acheteurs en restauration collective ou familiale. Le monde agricole peut en termes de communication se poser la question des moyens qu’il met en œuvre et de ses orientations.
« Un beau challenge… »
Jacques Massé, directeur recherche Arvalis-Institut du végétal, est bien décidé à positiver : « Faire plus et mieux, cela permet de se remettre en cause ». Il reprend rapidement les données du problème à la base. Et en premier lieu la question du produire mieux : « Qu’entend-t’on par une réduction des phytos dans les travaux du Grenelle ? S’agit-il d’une diminution des impacts des produits phytosanitaires ou bien d’une diminution de leur usage ? Dans le premier cas concilier produire plus et mieux est possible, dans le deuxième cas, non ! Nous avons des exemples très précis qui mettent en évidence que l’on peut produire plus tout en réduisant l’impact des produits phytos : j’en prendrai pour preuve les expériences Agri Peron dans l’Aisne ou de la Fontaine du Theil, en Ille-et-Vilaine. Dans tous les cas l’agronomie est bien réfléchie. »