Claude Compagnone : Il faut partir de ce qu’ils font actuellement et comprendre les raisons qui animent leurs pratiques. Une telle démarche amène à explorer la manière dont les agriculteurs conçoivent ces pratiques. Ce qui ne signifie pas que dans leur mise en œuvre tous leurs actes se trouvent continuellement réfléchis : ils l’ont été, à des moments différents, au fur et à mesure de leur agencement dans le temps. Mais parfois, la trace de cette construction logique s’efface et la seule raison que les agriculteurs peuvent avancer pour expliquer leurs pratiques est qu’ils ont toujours procédé ainsi.
C & E : Agronomes et sociologues sont-ils sur la même longueur d’onde pour guider les agriculteurs dans le changement ?
C. C. : Le regard des agronomes est important pour faire apparaître la diversité des systèmes de pratique des agriculteurs et la pertinence de ces systèmes au regard des objectifs de ces agriculteurs ou de ceux de leur encadrement technique. Ce regard peut, par exemple, permettre d’approcher les processus de décision mis en œuvre par les agriculteurs et la façon dont ces processus se modifient au cours du temps, par accumulation d’expérience ou en réponse à des facteurs extérieurs. Le regard du sociologue porte sur le sens que peuvent donner les agriculteurs à ce changement et il s’intéresse aux ressources sociales sur lesquels les agriculteurs s’appuient pour réaliser ce changement. Ce que l’approche agronomique n’aborde pas, c’est comment les connaissances nécessaires aux raisonnements techniques ont été acquises et sont transformées par le témoignage des autres. Pour un sociologue, il semble important de faire apparaître la façon dont les agriculteurs opèrent collectivement, en échangeant des informations, en élaborant ensemble des connaissances et en déléguant à d’autres certaines tâches d’invention ou d’appréciation.
C & E : Vous avez montré que la dynamique de changement est fortement liée à la façon dont les agriculteurs échangent leurs connaissances. Et surprise, les plus forts techniquement ont parfois besoin du savoir de leurs voisins a priori moins performants ?
C. C. : Vous faites certainement allusion au désherbage mécanique du sol dont nous avons étudié la pratique auprès de viticulteurs de la commune de Buxy, en Saône-et-Loire. Retardataires dans une classification ordinaire d’une approche diffusionniste des innovations, certains agriculteurs deviennent, du fait de la réhabilitation de cette technique, des « pionniers » en ayant assumé un rôle de conservation des pratiques.