Rencontre avec Daniel Boy, Cévipof

3 janvier 2013 - La rédaction 

Devant les remises en cause de la science et du progrès, le sociologue Daniel Boy, directeur de recherche au Cévipof* a décrypté pour Farre les réactions de la société face aux avancées technologiques. Voici l'interview intégrale, telle que publiée dans le supplément à Campagnes et environnement de décembre 2012.

Comment jugez-vous le rapport de la science à la société ?

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“Depuis les années 70 sont arrivées quelques grandes catastrophes technologiques et des crises scientifiques majeures […] La société s'interroge sur les liens qui unissent la science avec des intérêts privés tournés vers le profit commercial.”

Daniel Boy : Les enquêtes d'opinion ont montré une évolution dans la relation entre sciences et société. Il y a quarante ans, la société estimait en très grande majorité, à près de 70%, que la science apportait plus de bien que de mal. Aujourd'hui, les rapports se sont inversés et la société estime majoritairement que la science apporte autant de bien que de mal. Nous sommes passés ainsi d'une vision positiviste de la science à une méfiance, ou plutôt à un questionnement.
Depuis les années 70 et l'essor d'une sensibilité à l'environnement, sont arrivées quelques grandes catastrophes technologiques et des crises  scientifiques majeures telles que l'affaire du sang contaminé, la vache folle, les OGM et peut-être demain les nanotechnologies. La société s'interroge sur les liens qui unissent la science avec des intérêts privés tournés vers le profit commercial. Les rapports sciences/société ne sont pas devenus des rapports de défiance  mais des rapports ambigus, compliqués, acceptant les progrès technologiques mais refusant les risques.

Science : d'une vision positiviste au questionnement

Pourquoi la recherche aujourd'hui, notamment les biotechnologies, fait-elle peur ?
Daniel Boy : La perception en France et en Europe des biotechnologies n'est pas la même suivant les recherches conduites. Ainsi, pour les « biotechnologies rouges », c'est-à-dire celles appliquées dans le domaine médical, on assiste à une attitude favorable. Ceci s'explique par le fait que sont pris en compte le bien du patient, l'amélioration de la santé, même si des réserves sont émises avec l'utilisation de certaines technologies sensibles du point de vue de l'éthique (les cellules souches par exemple). Quant aux « biotechnologies vertes », dans le domaine des plantes, l'acceptation est bien moins évidente. De l'alerte au soja fou en 1996 jusqu'aux récents travaux du professeur Séralini, la crise des plantes transformées génétiquement n'est pas résolue.

Une balance risques/bénéfices évaluée en fonction des intérêts personnels

Face aux progrès scientifiques, le public européen évalue la balance risques/bénéfices par rapport à ses intérêts personnels. Ainsi, pour un objet éventuellement contesté comme le téléphone portable, le bénéfice est tel que le risque pour la santé n'est pas pris en compte. En revanche, la société ne trouve aucun bénéfice à consommer des OGM. L'argument mettant en avant que ces OGM permettent de diminuer les quantités utilisées de pesticides, n'est pas compris ou n'est pas estimé convaincant. Le citoyen n'y voit qu'un intérêt pour les fabricants ou les agriculteurs. Et cette réaction est tout à fait rationnelle : quelle raison peut justifier de prendre un risque même infinitésimal si je n'en tire aucun bénéfice personnel ? Bien sûr, il y a les alicaments ou les plantes transformées génétiquement pour des conditions climatiques difficiles, mais cela n'est pas concret et relève du domaine du futur.

Informer ne suffit pas, il faut dialoguer avec la société

Quelles pourraient-être selon vous les pistes pour améliorer l'adhésion aux progrès technologiques ?
On a longtemps pensé que l'acceptation des enjeux de la science passait uniquement par l'information. Il faut sortir de cette illusion, cela ne fonctionne pas ou plus comme cela. Ceux qui émettent des réserves sur les progrès technologiques ne sont pas des ignorants, ils développent des argumentaires très étayés. S'il faut certes continuer à apporter un flux d'informations, cela ne suffit pas. Il faut aussi un dialogue avec la société et la faire participer au débat, même si cela peut être compliqué. Les conférences citoyennes peuvent y contribuer. Initialement conçue et utilisée au Danemark, de telles conférences ont été mises en place en France (sur les OGM, le changement climatique ou les boues de station d'épuration). Les citoyens peuvent alors appréhender les termes et les enjeux du débat concernant les risques induits par l'innovation scientifique, et ainsi prendre position en connaissance de cause.

* Cévipof : Centre de recherches politiques de Sciences Po
 

Aller plus loin
Dans la continuité de cette réflexion, Farre invite à débattre autour du thème “La science : alliée ou ennemie de l'agriculture ?”, le mardi 15 janvier 2013 après-midi à la Maison de la Chimie, à Paris. Plus d’info.

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