Milan 2015 : A qui appartient le vivant ?

30 juin 2015 - La rédaction 
Pour la onzième conférence des Mercredis du Pavillon France, Christian Huyghe soulève le débat de l'appropriation du vivant. Quelles différences entre brevet et certificat d'obtention végétale ? Quel outil est le mieux adapté pour protéger les ressources génétiques ? Quels enjeux au niveau international ? Telles sont les questions auxquelles le chercheur de l'Institut national de recherche agronomique tente de répondre.

Face aux tentatives d'appropriation des ressources, et alors que les consommateurs s'interrogent de plus en plus sur la provenance de leurs aliments, Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l'agriculture à l'Inra, met en lumière les différents enjeux concernant l'appropriation du vivant.  

Depuis la conférence de Rio en 1992, les ressources génétiques sont à la fois la propriété des Etats et des populations qui ont contribué à les installer et les maintenir sur un territoire. Ces deux parties ont également pour responsabilité d'entretenir et de protéger ces ressources.

Brevet et certificat d'obtention végétale

En France, deux outils de protection du vivant cohabitent. Le brevet, et le certificat d'obtention végétal (COV), dont les philosophies sont bien différentes.

Le COV permet à une personne qui crée une nouvelle variété d'être rémunérée pour son travail tout en garantissant l'accès au fond génétique de la variété pour des progrès ultérieurs. Si un semencier ou un généticien souhaite apporter une innovation sur une variété protégée par un COV, il n'aura pas à payer d'indemnités au détenteur du certificat et un autre COV pourra protéger la variété nouvellement créée. Ce certificat considère que la diversité génétique est une forme de bien commun n'empêchant pas l'innovation et la rémunération du travail. Le COV protège une nouvelle variété pour 25 ans, après quoi cette dernière appartient au domaine public.

Historique du COV

Pour bien comprendre le COV et son évolution, il est nécessaire de se replacer dans une perspective historique. Le COV est créé en 1961 par le traité de Paris. Dans un contexte de sortie de guerre, il fallait réussir à augmenter la production agricole pour répondre à une demande croissante. Il est alors apparu nécessaire de pouvoir protéger la création, l'orienter, et surtout éviter que le matériel génétique ne soit capturé par quelqu'un sans possibilité de progrès.

La ratification du traité en 1991 va apporter deux éléments importants. Il va être impossible de créer des variétés très peu différentes de ce qui existe déjà. D'autre part, les agriculteurs n'ont plus qu'un droit limité de réensemencer des variétés protégées par un COV en payant en contrepartie l'obtenteur de la variété.

Une caractérisation à revoir 

Toutefois, selon Christian Huyghe, l'ensemble de ce système va devoir changer. Aujourd'hui, la caractérisation des variétés faisant l'objet d'un COV se fait exclusivement sur le phénotype, c'est-à-dire sur les caractéristiques visuelles ou directement observables. Ces caractéristiques ne sont plus identifiables dans la récolte (sous forme de grains moissonnés), l'obtenteur de ne dispose donc pas d'outils efficaces pour prouver qu'un agriculteur a utilisé des semences de sa variété.

Alors que des séquençages de génome sur des variétés céréalières sont aujourd'hui possibles, des caractérisations plus fines pourraient être mises en place.  « Il ne faut toutefois pas que les progrès technologiques prennent le pas sur les principes de la protection, qui sont la caractérisation du progrès et la possibilité de continuer l'innovation », souligne le chercheur.  

#11. A qui appartient le vivant ? from Alimentation Générale on Vimeo.

Au niveau moléculaire, COV ou brevet ?

Le brevet est un concept plus ancien et adapté au monde industriel. Il reconnaît un acte de création, qui doit être une invention et non une découverte. La déclaration de brevet doit décrire son effet et son périmètre d'application. Contrairement au COV, l'innovation à partir d'une entité brevetée n'est possible qu'à condition de rémunérer le détenteur du brevet.  

Au niveau moléculaire, l'utilisation d'un COV ou d'un brevet fait débat. Si on considère l'ADN comme une entité intrinsèquement liée au vivant, elle n'est pas brevetable. En revanche, si on la considère comme une « simple » molécule chimique, on peut démontrer qu'elle génère un processus qui peut être transférable ailleurs (périmètre d'application) en permettant par exemple d'améliorer la vitesse de croissance d'une plante. A ce moment là, on bascule dans le domaine du brevetable avec toutes les dérives imaginables. Mais sur ces questions, la position de la France est claire : pour les variétés végétales, le COV est l'unique mode de protection. 

 
A l'échelle globale : protéger les ressources
La conférence de Rio en 1992 a décrété que « la biodiversité dans son ensemble est en danger ». Pas uniquement parce qu'on se l'accapare, mais aussi car les milieux naturels sont détruits. Cette double prise de conscience a permis de voir apparaître un certain nombre d'actions pour la protection des ressources génétiques. 
 
Les accords de Nagoya en 2010 visent un partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources. « Si on accède à une ressource et qu'on en tire une valeur économique, il faut en partager les avantages, rétributions et contributions avec le pays d'origine détenteur de la ressource. » En 2001, le traité TIRPGAA de la FAO reconnaissait pour sa part le rôle des paysans dans la conservation de la biodiversité et définissait des objectifs de conservation et d'utilisation durable des ressources génétiques pour des usages agricoles et agroalimentaires.

Qui est responsable du vivant ?

Selon Christian Huyghe, en plus de savoir à qui appartient le vivant, il s'agit également de répondre à la question « qui est responsable du vivant ? » Selon lui, ces deux faces d'un même problème se jouent sur un pas de temps différent. L'appropriation, dont le but est souvent la rentabilité, est une vision à court terme. Sur un temps plus long, il s'agit plutôt de réfléchir à la responsabilité collective du vivant pour le maintien de la diversité génétique.

La question de la propriété du vivant est liée à notre relation à la nature. Dans les sociétés où, majoritairement, on mange à sa faim, beaucoup pensent que l'appropriation du vivant est acquise pour toujours. Or, la population mondiale ne fait qu'augmenter et l'impact des activités humaines sur le milieu naturel n'est plus négligeable. La question qui se pose aujourd'hui est plutôt : « comment les modes de protection du vivant et la façon dont on les utilise nous offrent une capacité de répondre et s'adapter aux défis de demain ? », conclut Christian Huyghe.

Générique réalisé par Alimentation Générale

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