Thomas Turini, responsable environnement du CIV ( à gauche) et Olivier Martin, chercheur et fondateur de agroeco.systems ont co-signé l'étude sur l'impact environnemental de la production de viande. Ils proposent de se pencher sur la complexité de cet enjeu et de faire évoluer les méthodes d'évaluation avec une approche plus systémique.
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À l’origine de l’étude critique de 79 méthodes d’évaluation des impacts environnementaux des produits agricoles conduite par le Centre d’information des viandes (CIV), présentée le 23 février : le constat d’un déséquilibre et d’une approche trop linéaire, monocritère. Les méthodes d’évaluation ne retiennent que les impacts négatifs de l’élevage sans comptabiliser les contributions positives.
Dépasser l'émotion
Pierre-Michel Rosner, directeur du CIV, veut « ramener de la rationalité dans le débat scientifique et pas seulement de l’émotion. » Nombre d’indicateurs utilisés se fondent sur des données liées à de la matière inerte, avec une approche verticale qui omet la multiplicité des échelles. Sans pour autant remettre en question les méthodes existantes, dont l’Analyse de cycle de vie des produits, le CIV pointe du doigt la nécessité d’en élaborer d’autres, de changer de paradigme, de comptabiliser les interactions et synergies générées par l’activité agricole sur son environnement.
« Un outil statique ne peut-être adapté à une problématique de transition, implicitement fondée sur la dynamique », explique Thomas Turini, responsable environnement du CIV. En chahutant les postulats, le CIV lance un appel à la recherche pour mieux intégrer les bouquets de services écosystémiques de l’agriculture, et a fortiori de l’élevage, « de mixer le matériel et l’immatériel », de rendre compte de la complexité.
Vivante, multiscalaire, l’autre analyse de l’agriculture
Car c’est bien là tout l’enjeu. L’agriculture travaille le vivant, sur des échelles à la fois spatiale, organisationnelle. L’élevage associe quatre composantes qui, chacune, sont multifonctionnelles : l’animal, l’homme, la prairie, le territoire. La production, qu’elle soit animale ou végétale, s’appuie sur la dynamique de cycles biogéochimiques comme ceux de l’azote, de l’eau, du carbone et du phosphore.
Ces cycles varient dans le temps et l’espace. Ce qu’Olivier Martin, chercheur et fondateur de agroeco.systems et auteur de l’étude, nomme de la « cellule à la planète ». Les bénéfices se retrouvent dans la photosynthèse ou les échanges gazeux jusqu’aux conséquences et interactions observées dans les prairies, bassins versants, territoires. « Le fonctionnement dynamique des systèmes biologiques engendre des conséquences globales et complexifie le calcul de l’impact environnemental de la production de viande », relève-t-il.
Le principal défaut des méthodes identifiées tient de la transposition d’un impact, identifié ponctuellement ou localement, qui devient une valeur générique, une référence globale avec un risque « d’hégémonie du chiffre ». Cependant, une approche souhaitée systémique implique de mixer les compétences, les sciences, de ne plus penser en silo, de reconnaître économiquement les services environnementaux rendus par l’agriculture, par l’agriculteur. Cette transition est sur la bonne voie.