Bien que les lycées agricoles forment 50 % de femmes, elles ne représentent que 26 % des chefs d’exploitation. Alors que le Recensement Agricole 2020 indique que la moitié des agriculteurs actuels partira à la retraite d’ici à 2030, comment faire pour féminiser la nouvelle génération ? Une question sur laquelle Réseau Civam (fédération nationale des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et la Fadear (Fédération associative pour le développement de l’emploi agricole et rural) se penchent depuis plusieurs années. Après avoir bénéficié de fonds européens en 2021, ces associations projettent pour 2024 de démarrer un projet favorisant l’installation agricole des femmes, grâce aux financements du programme Casdar (Compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural) du ministère de l’Agriculture. Cette fin d’année représente donc une « période d’accélération », comme l’a définie Maryse Degardin, administratrice du réseau Civam et co-présidente du pôle InPact. Les deux réseaux ont ainsi tenu à renforcer leurs liens, en organisant le 21 septembre, une rencontre inter-associative. Intitulé Renouvellement des générations agricoles : une question de genre ?, l’événement a réuni une trentaine d’adhérents, qui ont partagé des initiatives et réfléchis ensemble à des solutions pour soutenir l’agriculture au féminin.
L’enseignement agricole, terreau fertile des inégalités
« Il est nécessaire de mutualiser nos connaissances pour identifier les freins et les leviers de l’installation des femmes en agriculture », affirme Maryse Degardin. Le fait de rencontrer aussi peu de femmes à la tête des exploitations s’expliquerait en grande partie par un enseignement agricole historiquement inégalitaire, dépeint par la sociologue Emma Frison lors de la rencontre (voir encadré). « Aujourd’hui encore, on constate qu’à diplôme égal, femmes et hommes n’ont pas les mêmes compétences », déplore-t-elle. Car même si aujourd’hui, l’enseignement théorique est le même pour tous, on observe encore, lors des stages pratiques en exploitation agricole, une assignation différenciée des tâches. « Beaucoup de ces femmes n’ont pas appris à conduire un tracteur, et parfois même, celui-ci n’est pas adapté à leur taille ou leur morphologie : cela peut en dissuader beaucoup de gérer une exploitation agricole », ajoute Anaïs Fourest, animatrice à l’association Adage 35, qui intervient en milieux scolaires dans le cadre du module « égalité filles-garçons » des lycées agricoles.
Des initiatives partout en France
Depuis le début de leur mobilisation, les Civam et la Fadear ont diffusé des questionnaires de recensement au sein de leurs réseaux, afin d’établir une cartographie des projets mis en place à travers la France, pour répondre à cet enjeu d’inégalité. « Cet outil sera diffusé en interne d’ici à la fin de l’année, et permettra de créer du lien entre les initiatives », indique Sixtine Prioux, coordinatrice transmission et création d’activité agri-rurale, femmes et milieu rural de Réseau Civam.
Les groupes d’échanges en non-mixité, ouverts aux femmes du secteur agricole, sont des exemples d’initiatives mises en place par les Civam. Le communiqué Dégenrons le monde agricole et rural ! Ça vous dérange ?, publié sur le site du réseau, résume les remarques qui ont émergé de ces rencontres, et présente une série de propositions pour rendre le secteur agricole plus inclusif.
Origine des inégalités
L’enseignement agricole féminin n’est créé qu’en 1889, soit 40 ans après son équivalent masculin. Cette formation est restée non mixte jusqu’en 1975, donnant lieu à une différenciation des sujets enseignés selon des stéréotypes de genre, ce que la sociologue Emma Frison définit comme une « division socio-sexuée ». Ainsi, l’enseignement formait aussi les femmes aux tâches domestiques, faisant d’elles de véritables « ménagères agricoles ». Un clivage qui s’est accentué sous le régime de Vichy, où les femmes étaient assignées à leur rôle reproducteur et familial, complétant ainsi leur formation par des enseignements moraux. Enfin, avec la Révolution Industrielle s’est développé la mécanisation, qui a entrainé une diminution des besoins de main d’œuvre. Les femmes ont une bonne fois pour toute été incitées à disparaitre du paysage rural, envoyées vers les emplois du secteur tertiaire, en ville.