“Des pratiques agricoles inadaptées sont pour beaucoup dans la perte de notre patrimoine naturel.” C’est en ces termes sévères que Jeff McNeely, directeur scientifique de l’Union mondiale pour la nature, dénonce l’influence de l’agriculture sur l’érosion des richesses naturelles. Depuis le sommet de la Terre en 1992, à Rio de Janeiro, le terme de biodiversité s’est peu à peu imposé dans le monde scientifique mais également politique. Plus qu’un simple catalogue, l’analyse de la biodiversité s’attache à mettre en lumière l’ensemble du monde du vivant selon trois axes : les gènes, les espèces et les écosystèmes qui les abritent. À l’heure où de nombreux chercheurs mettent en garde l’opinion publique contre une “sixième extinction des espèces”, avec plus de 15 000 formes de vie en voie de disparition, la question de la biodiversité intègre doucement, mais sûrement, les différentes politiques environnementales. La conférence internationale baptisée “Biodiversité et gouvernance” qui s’est tenue au mois de janvier à l’Unesco, a montré que les préoccupations dans ce domaine sont réelles, à la fois pour les chercheurs mais également pour les pouvoirs publics. Jacques Chirac a rappelé lors de ce colloque que l’Europe s’est engagée à enrayer l’érosion de la biodiversité d’ici à 2010. Pour Guy Riba, directeur délégué de l’Inra, il ne peut y avoir de développement durable sans se pencher sur la préservation de notre patrimoine écologique. Cependant les obstacles sont encore nombreux : comment appréhender de manière exhaustive la complexité du vivant ? Et comment concilier les impératifs économiques à ceux de la préservation du patrimoine naturel ?
L’agriculture au cœur de la problématique
L’agronomie revisitée
Quelles sont les solutions proposées pour réconcilier agriculture et biodiversité ? Le processus est déjà en marche avec le découplage des aides de la Pac 2006, incitant à la désintensification. Cependant, pour Jeff McNeely, ceci n’est pas une solution. “Nous sommes à un stade où nous ne pouvons pas produire moins. L’évolution démographique et la déruralisation réduisent d’année en année la surface cultivable. À ce rythme il faudra se contenter de 0,1 hectare par habitant pour se nourrir en 2020. Il est impossible de diminuer le rendement.” Guy Riba, quant à lui, propose de “réinventer le lien entre agriculture et biodiversité”. “La biodiversité est d’un intérêt majeur pour nos cultures et préserver notre patrimoine naturel ne consiste pas à réduire notre capacité de production, bien au contraire. L’agriculture doit se réapproprier la biodiversité.” L’Inra effectue depuis quelques années des essais qui visent à renforcer le partenariat entre nature et agriculture. En passant par la sélection variétale, les associations d’espèces et le rétablissement de la faune auxiliaire en recréant des niches écologiques, il serait possible de mettre en place des “agro-éco-systèmes” qui associeraient rendement et stabilité écologique. Selon les chercheurs, plus un écosystème est pauvre en biodiversité, moins il est capable d’offrir de résistance à l’adaptation des envahisseurs. La faune auxiliaire joue ici un rôle prédominant. Cependant, devant la complexité du vivant, les pistes sont nombreuses afin de déterminer le meilleur profil “agro-écologique” et les stratégies à adopter sont encore incertaines pour assurer à l’agriculture un développement durable.
Les travaux de l’Inra
Pour étudier l’évolution de la biodiversité, l’Inra a mis en place trois observatoires de recherche en environnement : sur les prairies, les forêts et les bassins versants. Par ailleurs, avec le concours d’Arvalis-Insitut du végétal, un réseau d’essais s’est développé depuis 1999 pour analyser les blés obtenus après une sélection tenant compte de la biodiversité. Les premiers résultats semblent concluants car ces variétés semblent conserver leur potentiel de rendement (7,5 tonnes à l’hectare, ainsi qu’une bonne teneur en protéines) lorsqu’ils sont soumis à une réduction des intrants, contrairement à des variétés intensives classiques. Dans le cadre du programme national “biovigilance”, 800 à 1 000 parcelles témoins sans herbicides ont été mises à la disposition de l’institut par des agriculteurs, afin d’effectuer un suivi des adventices selon les pratiques agricoles.