Agriculture raisonnée, vendre sa différence

20 février 2006 - La rédaction 
Itinéraire professionnel d’un viticulteur qui a trouvé dans l’agriculture raisonnée une autre façon de produire et un moyen d’étoffer son argumentaire commercial dans un environnement concurrentiel très serré.

Depuis 1995, Frédéric Belmas gère un domaine familial, le Mas Alart, situé à quelques encablures de Perpignan. Avant qu’il ne s’installe, l’exploitation réalisait exclusivement du vin doux, le muscat de Rivesaltes, vendu en vrac aux négociants. Petit à petit, Frédéric Belmas a réduit ses surfaces et s’est diversifié pour produire des vins rouges et rosés et réaliser de la vente en direct. En 2001, il vend ses premières bouteilles et passe quasiment en trois ans du tout négoce au tout vente directe. Si bien qu’aujourd’hui, la vente en direct représente près de 90 % des volumes produits. En 2003, il s’est associé avec un commercial. “J’ai vite constaté que ce n’était pas mon métier, il me fallait un vrai pro à mes côtés”, confie-t-il.Un choix éthique

Dès 1998, Frédéric Belmas participe avec une poignée d’agriculteurs à la création du réseau Farre dans les Pyrénées-Orientales, un comité départemental qu’il dirige aujourd’hui. “Au départ, c’était un choix éthique, celui de partager une vision de l’agriculture qui consiste à travailler le plus proprement possible. Je n’avais pas l’idée de valorisation économique.” Frédéric Belmas trouve dans Farre les réponses aux préoccupations environnementales qu’il avait en reprenant le domaine. Son objectif était alors double : maintenir un patrimoine rural dans une zone périurbaine tout en gérant une entreprise rentable. Une approche qui trouvera des prolongements dans son adhésion à Terra Vitis en 2002, “un complément logique de Farre”. Le cahier des charges Terra Vitis l’a poussé à réaliser des changements techniques importants sur son exploitation. “Après cela, obtenir ma qualification au titre de l’agriculture raisonnée a été beaucoup plus simple ; le gros avait été fait.”

Le “plus” produit

La pratique raisonnée interpelle de plus en plus les clients qui viennent acheter du vin au caveau situé sur le domaine. “Entre 2001 et 2005, j’ai vraiment noté une évolution dans la connaissance qu’ont les consommateurs de l’agriculture raisonnée, constate-t-il. Avant cette pratique leur était inconnue. Aujourd’hui ils en entendent parler plus souvent.” Les signes distinctifs comme la plaque Farre apposée à l’entrée de la cave, bientôt complétée par le panneau officiel de la qualification offert par le ministère, ou des vignes jugées “moins propres” par les visiteurs du fait de la présence d’herbe entre les rangs liée à un désherbage moins intense interpellent beaucoup les clients. “Là ça accroche, c’est du concret. Réduire les doses de produits phytos, ça parle aux gens.”

Pour autant, Frédéric Belmas ne vend pas ses produits plus chers. Le marché du vin est actuellement trop tendu pour cela. C’est avant tout la qualité et le fait d’être un domaine qui fixent le prix. La qualification agriculture raisonnée permet toutefois d’étoffer l’argumentaire commercial vis-à-vis de la concurrence et de bien différencier un produit qui est réalisé dans des conditions respectueuses de l’environnement.

Traiter après observation et si cela est nécessaire

Domaine du Mas Alart

Situé à Saleilles (66) à quelques kilomètres au sud de Perpignan

23 hectares

Production de 1000 hl/an de vin rouge, rosé et de vin doux naturel en AOC muscat de Rivesaltes et Rivesaltes

Avec 23 hectares de vignes tout d’un seul tenant, Frédéric Belmas estime qu’il est plus aisé de raisonner sa production. À ce titre, de nombreuses actions ont été menées sur l’exploitation. Parmi les plus significatives, il y a la traçabilité : “une démarche fastidieuse à mettre en place mais qui s’avère rapidement un formidable outil de gestion. Je peux ainsi calculer des rendements à la parcelle près”.

Côté phytos, Frédéric Belmas opère une gestion plus fine des matières actives et des quantités apportées. Surtout, les traitements sont devenus plus efficaces grâce aux observations faites à la parcelle. “J’y consacre facilement une demi-journée par semaine, affirme-t-il. Pour détecter la présence d’insectes ravageurs ou de maladies et observer l’efficacité des traitements.” Des pièges à phéromones disposés sur l’exploitation permettent de capturer certains ravageurs et de déterminer si le seuil de nuisibilité à partir duquel il faut intervenir est atteint ou non. “Chaque année, j’essaie de diminuer un peu plus les traitements. C’est ce qui me plaît avec l’agriculture raisonnée, on est vraiment dans une démarche de progrès.”

Frédéric Belmas continue ainsi d’aller de l’avant avec en projet une éolienne et des panneaux solaires. Des projets qui répondent d’abord à une conviction environnementaliste mais qui contribuent aussi à faire s’interroger des clients à qui il devient alors plus simple d’expliquer la démarche raisonnée. Un bon moyen de la valoriser en somme…

N’hésitez pas à dire que vous travaillez bien grâce à l’étiquette

Soucieux de valoriser ses vins issus de l’agriculture raisonnée, Frédéric Belmas a investi 7 000 euros dans une nouvelle étiqueteuse qui va lui permettre d’apposer une seconde étiquette au dos de la bouteille spécifiant la qualification.

L’ancienne étiqueteuse ne permettait d’apposer qu’une seule étiquette sur laquelle avait été fait le choix d’inscrire le logo de Terra Vitis, plus facile à vendre que la longue dénomination qui explique l’agriculture raisonnée. Une nouvelle étiqueteuse appliquera une seconde étiquette au dos de la bouteille pour valoriser la qualification. À partir de la cuvée 2005, tous les vins du domaine auront cette contre-étiquette, grâce à laquelle il sera possible de sensibiliser les consommateurs.

Il y sera inscrit : “La démarche Terra Vitis garantit un mode de production de qualité respectant l’environnement. Ce vin est élaboré avec des raisins issus d’une exploitation qualifiée au titre de l’agriculture raisonnée et suivant la démarche Terra Vitis avec une traçabilité des pratiques culturales vérifiées par un organisme indépendant”.

Sandra Tourrière, animatrice de l’association Conduite raisonnée Rhône-Méditerranée (membre de la Fédération nationale Terra Vitis)

Une étape à franchir pour se qualifier

L’association Terra Vitis gère des cahiers des charges d’une production viticole respectueuse de l’environnement depuis 2000, soit deux ans avant la parution du référentiel de la qualification agriculture raisonnée. En 2003, un décret de communication a indiqué que le terme “raisonné” était réservé aux seuls produits issus de l’agriculture raisonnée. Il a donc été demandé aux adhérents de Terra Vitis d’être qualifié d’ici à 2007. “Du coup, explique Sandra Tourrière, nous avons harmonisé le cahier des charges Terra Vitis avec celui de l’agriculture raisonnée en y rajoutant les points manquants. Nous avons qualifié nos premiers adhérents en 2004. Aujourd’hui, plus de 180 adhérents Terra Vitis sont qualifiés au titre de l’agriculture raisonnée. Il n’en reste plus qu’une quarantaine à qualifier sur la région Rhône-Méditerranée.” L’association Conduite raisonnée animée par Sandra Tourrière assure le suivi de la démarche de qualification. “Nous effectuons un contrôle interne avant le passage de l’auditeur externe pour préparer au mieux la qualification, explique-t-elle. Ensuite, je reçois un double de l’audit et s’il y a des écarts par rapport au référentiel, nous travaillons ensemble pour les corriger. Je dispose ainsi d’un dossier personnalisé pour tous les adhérents.” Avec un tel suivi, l’association enregistre un taux de réussite pour la qualification de près de 100 %. Mais dans la période de crise actuelle, il est plus compliqué de motiver les adhérents Terra Vitis à franchir le pas de la qualification agriculture raisonnée, difficile à valoriser économiquement sur le marché du vin. Toutefois, la plus grande rigueur en termes de traçabilité exigée par la qualification semble bien appréciée des négociants, même si cela ne se traduit pas encore dans les prix. Pour mieux faire connaître la démarche et, à terme, la valoriser économiquement, l’association est en pourparlers avec des enseignes de la grande distribution, notamment Auchan, pour imaginer ensemble des moyens de communiquer autour de la qualification, à l’occasion de foires aux vins par exemple. “En attendant de concrétiser ces contacts, pour bien différencier nos produits, nous réalisons en 2006 un catalogue national des produits phares des adhérents Terra Vitis qui sera distribué aux caveaux, aux négociants et aux GMS”, conclut Sandra Tourrière. Un investissement qui devrait payer : la vigne est de loin la première production qualifiée en France.

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