La charte implique plus le citoyen que le code de l’environnement ; lequel est très normatif.
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La charte est déclinée en dix articles, et sept considérants qui en précisent les motifs. Sur le fond, l’écologie qui est définie dans ces considérants est souhaitée humaniste s’appuyant sur la continuité entre l’homme et la nature. Ils doivent beaucoup aux travaux de la Commission présidée par le paléontologue Yves Coppens. Les quatre premiers articles de la charte définissent le régime de droit commun des droits et devoirs en matière d’environnement. En ouverture des dispositions relatives aux politiques publiques, l’article 5 établit en revanche un régime propre à des situations exceptionnelles : celui de la précaution. C’est le seul qui soit directement évocable auprès d’un tribunal en cas de contestation. Article 1 : “Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé” Les titulaires de ce droit sont les personnes physiques. Toutefois ce droit à l’environnement ne ressort pas de la catégorie “droits-liberté” car il ne s’agit pas d’une liberté fondamentale. Il ne peut donc pas servir de support à un référé-liberté devant un tribunal administratif. “Un environnement équilibré” signifie que les équilibres naturels, la diversité biologique doivent être respectés, qu’il faut veiller aux conséquences de l’exploitation excessive des ressources naturelles, et ne pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins (considérants dans le texte de la charte). Il s’agit d’un droit-créance. Article 2 : “Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.” Contrepartie du droit proclamé à l’article 1, le devoir instauré dans cet article 2 pèserait sur “toute personne”, physique ou morale (association, société…). Toutefois, l’égalité et les libertés constitutionnellement garanties ne permettent pas d’imposer des contraintes exorbitantes aux citoyens et aux entreprises.Le principe d’égalité de la constitution suppose la prise en compte des responsabilités et des capacités de chacun (notion de “devoir de prendre part”). Les autorités publiques doivent, elles, prendre leurs responsabilités et instituer des mesures d’incitation, fiscales ou autres. L’article 2 appelle à une politique active de l’environnement. Il va plus loin que le code de l’environnement, lequel est normatif et passif. La charte incite à plus d’offensivité. Des mesures contraignantes pourraient être prises si un citoyen refusait par exemple de trier ses déchets. Article 3 : “Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.” |
Le devoir de prévention se traduit par exemple par le recyclage et la lutte contre le gaspillage. |
Ici, le devoir de prévention est défini de façon générale. De son côté, le principe de précaution ne peut entrer en application que dans les cas exceptionnels définis à l’article 5 en cas d’incertitude scientifique et de risque grave pour la société et ne concerne que les pouvoirs publics.
Ainsi, cet article propose au législateur d’envisager des sanctions dans son texte de loi. Le devoir de prévention s’applique en situation de risque connu. C’est ce qu’exprime le mot “susceptible”.
Le devoir de prévention se traduit par exemple par des arbitrages en faveur de modes de production et de consommation limitant les rejets ainsi que les prélèvements sur les ressources naturelles (devoir de recyclage et de lutte contre les gaspillages). Dans les hypothèses où toute atteinte ne peut être évitée, le devoir de prévention doit être satisfait par une limitation de l’atteinte, dans les conditions prévues par la loi et sous le contrôle du juge. Il ne s’agit toutefois pas d’un devoir de prévention absolue débouchant sur des interdictions.
Article 4 : Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi.
Ce principe est également déjà reconnu par le droit national. Il figure au titre II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, sous la définition suivante : “Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur”.
La charte retient la conception large du principe de réparation, permettant notamment la réparation des dommages écologiques purs. Cette conception large suppose que le principe de réparation s’applique à “toute personne”, comme les devoirs posés aux articles 2 et 3. Ce qui sous-entend que la réparation du pollueur soit exigée au regard de ses possibilités. Toutefois toute activité économique comporte des effets sur l’environnement. Comment estimer alors pour chaque entreprise les effets néfastes et enclencher la réparation ?
Le devoir de réparation s’applique dans les conditions à définir par la loi. Au législateur de concilier les principes d’égalité et pollueur-payeur. Toutefois le caractère de proportionnalité n’est pas précisé. La réparation à hauteur des dégâts occasionnés n’est pas implicite. Il s’agit d’une “contribution à la réparation”.
Article 5 : “Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.”
Cet article pose le seul “principe de valeur constitutionnelle”, directement applicable. Une loi peut toutefois être prévue. Il s’agit pour les pouvoirs publics de répondre à l’inconnu, et, éventuellement à des situations d’urgence, bien en amont de la phase d’application. Le principe de précaution se place dans la prospective et l’incertitude scientifique.
Le “déclenchement” des mesures de précaution n’est possible que si trois conditions sont simultanément réunies, ce qui ne peut se produire que dans des cas exceptionnels. Il faut à la fois : un risque de dommage à l’environnement, une incertitude scientifique sur l’existence de ce risque, des effets éventuels à la fois graves et irréversibles. Enfin, ce principe est le seul directement invocable devant un juge.
Qui est concerné ?
Les dispositions de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, issues de la “loi Barnier”, n’indiquent pas à qui – décideurs publics, décideurs privés – s’applique le principe de précaution. L’article 5 apporte une clarification : “les autorités publiques veillent dans la limite de leur attribution à l’adoption de mesures […] ainsi qu’à la mise en œuvre de procédures […]”.
Il s’agit donc de l’État et de ses services déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que certaines autorités indépendantes dotées d’un pouvoir réglementaire. Toutefois, vu les conditions très strictes posées par le principe de précaution, les collectivités territoriales seront très rarement concernées et dans la limite stricte de leur attribution. Par exemple, un maire ne pourrait pas prendre d’arrêté anti-OGM. Les mesures de précaution prises par les autorités publiques peuvent s’imposer aux autres sujets de droit (entreprises, particuliers, etc.) ou leur être seulement recommandées. Elles peuvent se limiter à un contrôle des initiatives privées. Les autorités publiques disposent d’une autorité de police administrative.Pour le secteur agricole, une telle décision reviendrait en fait au ministre.Les autorités publiques sont les seules citées dans l’article 5. C’est dire qu’un citoyen, une association, une entreprise ne peuvent évoquer auprès du juge administratif le principe de précaution. Seuls les pouvoirs publics en supportent la responsabilité (décision ou non-décision en cas de suspicion) et pas les sociétés privées éventuellement concernées.
Principe de bases :
Le principe de précaution devrait être d’application tout à fait exceptionnelle car il ne concerne que des risques très limitativement définis :
– Ces risques devant faire l’objet d’une incertitude scientifique pour entrer dans le champ de l’article 5, leur portée a toutes chances d’être nationale plutôt que locale ;
– Le dommage envisagé doit être à la fois grave et irréversible pour l’environnement
– Les mesures de précaution doivent prendre en considération, non seulement l’urgence éventuelle et la gravité supposée du dommage identifié, mais aussi l’acceptabilité économique et sociale des mesures à prendre.
Article 6 : “Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.”
Le développement durable est présent dans l’ensemble des “considérants”.
L’objet de l’article est d’obtenir un équilibre parfait entre les trois composantes que sont l’environnement, le développement économique et le progrès social.
L’article 6, en l’état, assure un élargissement et une garantie notables aux objectifs de développement durable et la prise en compte intégrée de l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques.
Il a très peu d’équivalents dans le monde, et un seul dans l’Union européenne : l’article 66-2 de la constitution portugaise.
Article 7 : “Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.”
L’article 7 est le premier de la charte à rendre bénéficiaires d’un droit, non pas les personnes physiques (“chacun”), mais “toute personne”, c’est-à-dire des personnes physiques, mais également des personnes morales, publiques ou privées. La question est d’importance dans le domaine de l’environnement, en raison du rôle actif qu’y jouent les associations. Toutefois, le droit d’accès à l’information, en particulier, ne portera que sur les informations détenues par les autorités publiques. La particularité de l’article 7 est de confier au législateur la faculté d’assigner des limites à ces droits. Les limites posées à l’accès à l’information, pourraient être justifiées en particulier par des exigences de confidentialité ou de secret défense.
Article 8 : L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente charte.
Le septième considérant évoque la responsabilité vis-à-vis des générations futures, qui est au cœur de la démarche du développement durable.
L’article 8 porte à la fois sur l’enseignement scolaire et supérieur, ainsi que sur la formation tout au long de la vie.
S’il consacre bien un objectif de valeur constitutionnelle, d’ordre général, par l’emploi du verbe “devoir”, il n’assigne pas un contenu impératif à ces enseignements.
Article 9 : “La recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement.”
Le présent article est applicable à tous les stades de la recherche et de l’innovation, depuis la recherche fondamentale jusqu’aux applications technologiques, du laboratoire à l’entreprise. De plus, il n’est pas demandé à chaque discipline de se mettre au service de l’environnement. La recherche et l’innovation ainsi définies se voient fixer un objectif qui suppose des mesures d’application, notamment par voie législative.
Article 10 : “La présente charte inspire l’action européenne et internationale de la France.”
Contrairement au code de l’Environnement qui n’avait qu’une portée nationale, l’article 10 oblige l’État à promouvoir les exigences contenues dans la charte et à défendre le droit à un environnement sain et équilibré au-delà de ses frontières.
Anne Delettre et Arnaud Carpon, Agrilex d’après le rapport au nom de la commission des lois relatif à la charte de l’environnement par Nathalie Kosciusko-Morizet, députée.
Lexique
Référé-liberté : Le référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative permet d’obtenir du juge des référés dans un délai très bref “toutes mesures nécessaires” quand l’Administration, dans l’exercice de ses pouvoirs, a porté atteinte grave et manifestement illégale à l’une des libertés fondamentales.