Au-delà de son rôle de ressource en bois et de source d’énergie, la forêt a une fonction écologique reconnue depuis longtemps : protection des sols contre l’érosion, fixation des dunes littorales, protection de la diversité biologique, protection de la qualité des eaux potables… Un puits de carbone Les arbres assimilent le CO2 de l’air (photosynthèse) et le stockent dans les forêts sous forme de carbone. Une partie de ce stock est souterrain, dans les racines mais aussi dans le sol, sous forme de matière organique. Si le stock augmente, la forêt effectue donc un prélèvement net de CO2 dans l’atmosphère. Les études de l’Inra et de l’IFN (Inventaire forestier national) ont permis de calculer que la forêt française séquestre 17 millions de tonnes de carbone par an, soit environ 10 % des émissions. “Cette masse végétale est sous-utilisée, analyse Jean-Luc Dupouey, écologue, directeur de recherche à l’Unité écologie et écophysiologie forestière de l’Inra de Nancy : les prélèvements de bois en forêt sont depuis plusieurs décennies inférieurs à la croissance biologique. À titre indicatif, ne sont récoltés que 65 % de la production annuelle de forêt.” En augmentant le stock de bois en forêt, il est donc possible de maintenir le rôle régulateur de la forêt dans l’effet de serre : il s’agit par exemple de poursuivre la reforestation des terres agricoles abandonnées. On peut accélérer le processus en utilisant des essences à croissance rapide. On peut aussi augmenter la quantité ou la durée de vie des produits en bois issus de la forêt. Produire du bois-énergie “Mais les possibilités offertes par le stockage de carbone dans la forêt ou dans ses produits ne sont pas illimitées et n’apportent donc qu’une aide temporaire à la lutte contre l’effet de serre, poursuit Jean-Luc Dupouey. Plus efficace à long terme, l’utilisation du bois comme source d’énergie pourra permettre de réduire l’usage des énergies fossiles et de diminuer les émissions brutes de CO2?: au CO2 dégagé par la combustion du bois correspond une quantité équivalente de CO2 capté par la forêt, si la forêt est régénérée après la coupe.” Développer la culture du taillis Dans le cadre d’un développement de cette utilisation, les chercheurs de l’Inra ont étudié la mise en place d’un système de culture appelé “taillis à courte rotation” ou “à très courte rotation”. Il s’agit de plantations très denses de jeunes peupliers coupés à 6-8 ans ou à 2-4 ans. La quantité de biomasse récoltée est importante, évaluée à 10-12 t de matière sèche en moyenne par hectare et par an. “L’extension de ce type de taillis dépendra à la fois de la politique énergétique française et de l’évolution réglementaire dont ces cultures de diversification pourront bénéficier dans le cadre de la Pac”, conclut Jean-Charles Bastien, chercheur au département Inra Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques”.
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Les études de l’Inra et de l’IFN (Inventaire forestier national) ont permis de calculer que la forêt française séquestre 17 millions de tonnes de carbone par an, soit environ 10 % des émissions.
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Des biocarburants de deuxième génération
Au-delà du débouché bois-combustible, la biomasse ligno-cellulosique pourrait également servir à la montée en puissance des utilisations de biocarburants. Car les voies actuelles de production de biocarburants, au travers des productions de graines oléagineuses, de céréales et de tubercules, sont limitées sur le plan quantitatif par leur exigence en surfaces ! L’utilisation de la biomasse ligno-cellulosique comme source de biocarburant permettrait non seulement l’extension de la matière première mais aussi une minimisation de l’impact sur l’environnement, sachant que la production de bois nécessite moins d’intrants que les cultures annuelles classiques. D’où le lancement cette année du projet Régix*, référentiel unifié, méthodes et expérimentations en vue d’une évaluation du gisement potentiel en ressources ligno-cellulosiques agricole et forestière pour la bioénergie en France. Les
ressources étudiées dans ce projet sur trois ans sont bien sûr les forêts d’essences variées, mais aussi les taillis à courte rotation d’espèces connues (peupliers, eucalyptus…), les nouvelles cultures pérennes récoltées annuellement (miscanthus, panic érigé…), les cultures pérennes classiques récoltées annuellement (luzerne, fétuque…), les cultures pérennes classiques récoltées en plante entière (triticale), les coproduits secs type paille (céréales à paille, maïs).
Jusqu’où aller dans l’exploitation??
Mais la biomasse forestière est-elle exploitable de manière intensive sans risque ? Un programme de recherche commun entre l’Inra et l’ONF est en cours, pour étudier les conséquences d’une exploitation des rémanents forestiers pour produire de la biomasse. Sont à prendre en compte les consommations éventuelles de fertilisants, les risques de tassement avec l’exploitation mécanisée, l’impact minéral sur la biodiversité… “Il faut également être attentif, souligne Jean-Luc Dupouey, au fait qu’une forêt reconstituée sur d’anciennes terres agricoles ne reprend pas d’emblée son aspect originel : il faut beaucoup de temps.” Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent se placer en arbitre pour estimer les hectares de cultures pérennes (colza, tournesol, blé, maïs, betterave) et de forêt qui entreront à terme dans l’industrie des biocarburants afin de trouver le bon équilibre. La gestion des paysages, le maintien du tissu rural relèvent aussi de cette problématique. Quelle production sera alors la plus rentable et la mieux intégrée dans le territoire ?
*Régix est financé dans le cadre du Programme national recherche bioénergie de l’Agence nationale de la recherche. Il associe plusieurs équipes Inra, le GIE Arvalis/Onidol (coordinateur), l’Association forêt cellulose (Afocel), l’Office national des forêts, l’Union de la coopération forestière française, EDF recherche et développement, la Chambre régionale d’agriculture du Centre, la Fédération régionale des coopératives agricoles de Picardie.
Le marché des crédits carbone Les marchés du carbone mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto ne sont aujourd’hui accessibles qu’aux industries fortement émettrices de CO2. Pourtant, de nombreuses démarches agricoles et forestières permettent de réduire les émissions et pourraient être valorisées par le système des crédits carbone. |
Et si la forêt émettait du méthane ? Les plantes émettraient des quantités importantes de méthane, dans le cadre d’un mécanisme encore mal connu : ce résultat de recherches, publié mi-janvier 2006 dans la revue Nature, a suscité une controverse médiatique. En effet, le méthane possédant un pouvoir de réchauffement global 23 fois plus élevé que celui du CO2, cette découverte paraît induire le fait que les forêts augmenteraient l’effet de serre en émettant du méthane, au lieu de le réduire en fixant le CO2… Les chercheurs, spécialistes de la forêt et du climat, sont cependant très dubitatifs sur ce raccourci. Tout d’abord, la découverte d’émissions importantes de méthane par la végétation, au travers de résultats expérimentaux, reste à confirmer. Ensuite, l’extrapolation de ces résultats expérimentaux aux émissions de l’ensemble de la couverture boisée de la planète semble très hypothétique. Enfin, les auteurs de ces recherches ont eux-mêmes précisé que, si leurs résultats modifient peut-être à la marge le bilan global de la forêt par rapport à l’effet de serre, cette modification n’était pas suffisante pour remettre véritablement en cause l’effet positif de la captation de carbone par la forêt. “En fait, cette émission de méthane reviendrait à réduire de quelque 4 % au maximum le bénéfice lié à la séquestration du carbone par les forêts, commente Jean-Luc Dupouey, chercheur Inra. Par ailleurs, la biomasse jouait déjà ce rôle avant l’industrialisation. Il ne faut pas se tromper de cible…” |