La jachère apicole avance

20 février 2006 - La rédaction 
Mises en place dès 2005 suite aux colloques apicoles organisés par Basf Agro avec ses partenaires, les premières expérimentations de jachère apicole apportent déjà quelques résultats… et en fourniront d’autres en 2006. Ces jachères expérimentales entrent dans le cadre global de l’engagement du milieu agricole pour la reconquête de la biodiversité.

Les baisses de production du miel et les surmortalités d’abeille ont été le point de départ d’une réflexion engagée par toute la filière. Dans un premier temps, pour BASF, cette réflexion s’est concrétisée en 2004 et 2005 par l’organisation de deux colloques apicoles sur l’initiative du département Filières et Environnement de BASF Agro. “Ces congrès nous ont permis de renouer le dialogue entre tous les acteurs concernés par ce phénomène : apiculteurs, agriculteurs et chercheurs ont répondu présent pour trouver ensemble des voies d’amélioration concrètes au problème que rencontre les apiculteurs depuis plus de 10 ans”, commente Jean-Marc Petat, directeur Filières et Environnement chez BASF.

La phacélie fait partie des espèces appréciées par les abeilles.

La nécessité d’une approche multifactorielle

Les surmortalités d’abeille ne sont pas un phénomène nouveau en France ou en Europe, et plusieurs facteurs sont souvent mis en cause (voir tableau). Fin 2004, le premier colloque technique apicole de BASF avait été l’occasion de rappeler le rôle crucial d’une nutrition riche et variée des abeilles comme dénominateur commun aux différentes situations décrites par les apiculteurs : “C’est l’alimentation carencée des abeilles, due aux zones de production agricole mono-florale qui est responsable des pertes de cheptel en Belgique,” avait alors expliqué lors de la première édition le professeur Jacobs de l’Université de Gand (Belgique).
En mars 2005, fortes des enseignements venant de Belgique, les discussions avaient été poursuivies sur la voie de la nutrition : “De nouvelles études ont montré qu’une alimentation mono-pollen pouvait être à l’origine d’une insuffisance protéinique avec d’importants risques de carences en certains acides aminés, précise Sandrine Orry, responsable Filières du pôle traitement de semences chez BASF. Dans ce contexte l’apiculteur doit s’assurer que d’autres sources de pollen sont disponibles.”

Il faut revenir au bol alimentaire de l’abeille

Pour mieux comprendre l’influence d’une alimentation carencée de l’abeille, il faut revenir sur les deux principales sources de nutriments qui composent son bol alimentaire : le nectar et le pollen. Le nectar, constitué de glucides, sera ultérieurement transformé en miel. Le pollen, constitué de lipides, glucides et protides, servira lui à l’élaboration d’organes constitutifs de l’abeille, comme la chitine, les glandes ou les muscles. Le pollen est donc l’unique aliment azoté de la ruche. Et les besoins en pollen d’une colonie sont de 20 à 30 kg par an : l’alimentation en pollen durant les phases larvaire et jeune abeille influence directement le développement des glandes “hypopharingiennes” des ouvrières nourrices, le développement des organes sexuels, la durée de vie et la taille de l’abeille adulte.
En fait, on identifie deux périodes où un manque de l’alimentation protéique est particulièrement néfaste aux colonies : le printemps, car la reprise de l’élevage peut être retardée jusqu’à l’apport de pollen frais ; la fin de l’été, car une carence en pollen au moment de la préparation de l’hivernage entraînera la naissance d’un plus petit nombre d’abeilles, ou d’un nombre normal d’individus, mais qui seront affaiblis et ne pourront survivre à l’hiver.
Les travaux du professeur Jacobs montrent que des périodes sans arrivage de pollen entraînent un arrêt temporaire de l’oviposition de la reine, donc un plus faible nombre de naissances d’abeilles. En revanche, si l’arrivage de pollen est continu mais de mauvaise qualité, alors les abeilles naissant sont trop faibles et disparaissent rapidement, en 2 à 4 semaines ou au début du printemps. Ces résultats correspondent aux observations faites par les apiculteurs : c’est la qualité nutritive des pollens qui est mise en cause.

Une réponse concrète : la jachère apicole

D’après leur expérience, certains apiculteurs se sont rendus compte que la jachère pouvait être une solution correctrice aux carences en pollen des abeilles. Pour Philippe Lecompte, apiculteur et président de l’Association de Développement Apicole Est, il faut raisonner autour du bol alimentaire et du paysage : “Le paysage botanique a terriblement changé depuis une trentaine d’années. Si on est capable de le transformer de manière négative, on est aussi capable de le faire de manière positive. L’utilisation de jachères pour constituer une ressource nouvelle et complémentaire est une opportunité absolument extraordinaire.” Ayant constaté la modification des assolements et la généralisation d’assolements types, couplées à la diminution des surfaces en herbes et la quasi-disparition des haies, il a déjà testé la diversification des ressources alimentaires proposées à l’abeille par la jachère depuis plusieurs années : “Je mesure personnellement tout l’intérêt de multiplier les surfaces de jachère pollinifères et mellifères, précise-t-il. On a parfaitement corrélé la présence d’une ressource apportée par jachère à une récolte qui vient plus tard. On a également fait la corrélation entre la capacité d’hivernage des abeilles et la présence de jachères : il y a là un lien très fort.”

Une démarche scientifique basée sur l’expérience des apiculteurs…
et des agriculteurs

Mais comment quantifier et prouver l’impact de la jachère sur le bol alimentaire des abeilles ? Il fallait pour cela recourir à une démarche scientifique, basée sur le ressenti et les observations des apiculteurs. Issue des échanges de ces deux colloques techniques apicoles, la première jachère pilote à intérêt apicole a été mise en place dès 2005 par BASF Agro et toute la filière.
“Une des premières décisions prises par le groupe de travail a été de choisir les espèces qui seraient implantées sur ces jachères pilotes, explique Julien Chagué, chargé de mission jachères apicoles BASF. Quatre espèces (le sainfoin, la phacélie, le mélilot blanc et le trèfle hybride) ont été retenues pour leur intérêt pollinique et nectarifère, en prenant en compte le souhait des apiculteurs… mais aussi des agriculteurs au travers de la réglementation, car il fallait absolument que ces espèces soient autorisées sur jachère.”
Les semis ont été réalisés début avril à proximité d’un rucher école du Centre, dans une zone de monocultures. “Un rucher entouré de 27,5 hectares de jachères implantées est comparé à un rucher témoin, dont l’environnement naturel n’a pas été modifié,” explique Sandrine Orry.

Une expérimentation étendue en 2006

Les premiers contrôles réalisés par les apiculteurs portent sur les surfaces de couvains, les pesées de récolte, l’intensité du butinage. “Ces contrôles seront suivis d’analyses plus scientifiques, notamment des déterminations des pollens dans les miels avec le laboratoire de Celle (Allemagne), pour voir si l’on retrouve bien les pollens des 4 espèces qui ont été implantées, commente Julien Chagué. Il y aura également des contrôles sur la qualité du pollen, réalisés par l’Université de Gand en Belgique avec des abeilles alimentées par des pollens issus de cette expérimentation.”
L’an prochain, 25 pilotes régionaux supplémentaires seront lancés dans différentes régions pour compléter sur une plus grande échelle les données collectées… et démontrer la faisabilité et l’impact positif du partenariat apiculteur/agriculteur. Car toutes les régions ne sont pas égales face à la diminution de la biodiversité : en Rhône-Alpes, 63 % des surfaces sont des sources potentielles de nectar pour les abeilles, alors qu’elles ne sont que 30 % en Vendée… d’où l’importance de la prise en compte des facteurs locaux.

Sortir de 10 années d’impasse

Cette démarche en faveur de la biodiversité peut-elle être étendue à d’autres surfaces non productives ? “Tout à fait, répond Jean-Marc Petat. Ce serait possible par exemple sur les bandes enherbées mises en place dans le cadre de l’éco-conditionnalité de la nouvelle Pac, à condition de trouver les espèces adéquates et de respecter la législation.”
Car aujourd’hui, la liste des espèces préconisées au niveau national pour ces couverts environnementaux est restrictive, notamment si elles sont implantées en bordure de cours d’eau et des restrictions supplémentaires sont possibles au niveau départemental. Or si les espèces implantées sont source de nectar et de pollen, cette nouvelle mesure peut présenter un intérêt certain sur le plan apicole.
Dans le cadre d’un développement futur de ces surfaces de jachères apicoles, il est clair que le premier objectif doit être de rechercher un bénéfice pour l’abeille, avec une disponibilité des ressources alimentaires plus grande et plus régulière, dans le temps et dans l’espace. Mais la mise en place de ce type de jachère peut avoir d’autres implications. Car c’est un constat que font certains des agriculteurs engagés dans cette expérimentation de jachère pilote apicole : des effets positifs sur l’image de l’agriculteur vis-à-vis du grand public, du fait d’un engagement concret et directement visible dans une approche environnementale et paysagère. “Dans les expériences que nous avons menées, on voit bien que les agriculteurs se sentent terriblement revalorisés quand ils s’impliquent dans une démarche de type environnementale, au profit de l’apiculture, de l’eau, ou de la préservation d’une ressource vivante”, remarque Philippe Lecompte.
Les bénéfices sur le plan sociétal viennent donc s’ajouter aux bénéfices agronomiques et environnementaux, pour favoriser un véritable développement des jachères apicoles.

Satisfaire les besoins de l’abeille en pollen

Les espèces reconnues pour produire les pollens les plus intéressants pour la colonie sont, parmi les herbacées : le trèfle blanc, le trèfle incarnat, la moutarde, le colza, le sainfoin, le bleuet, le coquelicot.

Et, parmi les arbres et arbustes : les rosacées, dont font partie les arbres fruitiers, la ronce, l’aubépine, le prunellier…, le châtaignier, le saule.

En revanche, certaines espèces produisent un pollen de moindre intérêt comme le maïs, la tomate ou le pissenlit, quand leurs pollens sont récoltés en quantité et en l’absence d’autres apports polliniques.

Caractéristiques des pilotes 2006 ( au 1er mars 2006) :

  • nombre de pilotes : 44
  • nombre d’agriculteurs engagés : une cinquantaine
  • nombre d’apiculteurs engagés : 37
  • surfaces semées en jachères apicoles en 2006 : 600 ha environ
  • nombre de départements français concernés :

 

 

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