La marche du pin

20 février 2006 - La rédaction 
Notre environnement est modelé par les interactions entre les processus naturels et les activités humaines. Les pratiques pastorales ont, par exemple, fortement transformé les paysages familiers de pelouses ou de landes de moyenne montagne. Aujourd’hui, certains de ces milieux ouverts évoluent spontanément vers la forêt quand les pratiques pastorales sont trop extensives. Véritable problématique à l’échelle internationale, l’invasion ligneuse dans les milieux ouverts intéresse les chercheurs. Les recherches portent particulièrement sur deux conséquences possibles : la fermeture des paysages et la modification de la flore initiale.

Lorsque les prairies ou les pâturages ne sont plus exploités intensivement par les hommes pour y faire paître leurs troupeaux, leur végétation évolue sous l’influence de la colonisation par de nouvelles espèces, en particulier des arbres. Ces territoires « vacants » profitent particulièrement aux espèces pionnières robustes dont la capacité de colonisation est rapide, comme des pins. Dans certaines régions, des espèces ligneuses exotiques (par exemple introduites en plantation) semblent même plus dynamiques que les espèces existant à l’état naturel.

Graines de pin pelliculées

En France, les scientifiques du Cemagref de Clermont-Ferrand ont observé ce phénomène sur les pelouses calcaires des grands causses du Massif central, en partenariat avec le CNRS Montpellier (Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive). Ils se sont intéressés à la dynamique naturelle de colonisation par les pins des terrains en déprise. Il s’agit en effet d’espèces très pionnières, capables de s’installer rapidement à découvert. Dans le sud du Massif central, deux espèces de pins sont particulièrement en concurrence : le pin sylvestre, espèce indigène, et le pin noir d’Autriche, introduit dans les années 60 en plantations.

Autant en emporte le vnt

Les graines de ces pins sont dispersées par le vent. Elles sont pour cela équipées d’une aile qui porte la graine et lui permet de voler. La dispersion des graines et la croissance des plantules sont deux facteurs déterminants de la dynamique de peuplement des pins. Les chercheurs du Cemagref et du CNRS ont donc voulu connaître la distance de dispersion des graines pour chaque espèce, mais aussi l’influence de la masse de la graine sur cette dispersion et sur la croissance des plantules. Pour cela, les scientifiques ont posé des pièges autour d’arbres isolés et… récolté les graines. Leurs relevés montrent que 95 % des graines se retrouvent dans un rayon d’une trentaine de mètres autour des arbres. Mais ils ont aussi retrouvé des graines ou de jeunes semis à plusieurs hectomètres, voire kilomètres, de semenciers potentiels. Autre observation : plus la graine est grosse moins elle va loin mais mieux la plantule survit. Ces résultats montrent que le principal front de colonisation se situe à quelques dizaines de mètres autour du peuplement. C’est là que la plupart des graines, notamment les plus grosses, s’implantent et en donnant naissance à de nouveaux individus font progresser le peuplement.
En revanche, les individus qui s’établissent très en avant du front de colonisation des peuplements existants vont favoriser une fermeture rapide du paysage. Comment ? Grâce à un phénomène de « saut de puce ». Même si la dispersion des graines à cette distance est relativement rare, multipliée par le nombre de semenciers, cela représente une quantité non négligeable de nouveaux individus. Une fois à maturité, ces individus vont à leur tour coloniser l’espace autour d’eux permettant de rejoindre leur peuplement d’origine et de disperser encore plus en avant. Cette dispersion à longue distance peut aboutir, sur des périodes de 50 à 100 ans, à une colonisation des territoires sur des dizaines de kilomètres. Le paysage est alors entièrement fermé.

Avantage : pin noir

Dans tous les terrains où les scientifiques ont pu observer les deux espèces de pins en compétition, le pin noir se montre beaucoup plus dynamique que le pin sylvestre. Pourquoi ? Le pin noir disperse plus loin et est plus compétitif. Ses graines sont plus grosses, les plantules poussent plus vite et survivent mieux. L’aile très développée permet de porter les graines plus loin. La plupart des pins noirs sont aussi plus hauts que les pins sylvestres, ce qui accroît encore leur avantage. La seule chance qui semble rester au pin sylvestre : les environnements très perturbés où il semble mieux résister que le pin noir. Mais là encore les modifications des pratiques d’élevage jouent contre lui. D’après les scientifiques, l’avantage compétitif du pin noir pourrait conditionner à terme une meilleure implantation de celui-ci au détriment du pin sylvestre. Et ce d’autant plus que de nombreux peuplements de pins noirs plantés dans les années 60 arrivent maintenant en phase de reproduction. Le problème est qu’il s’agit d’une espèce exotique.

Les scientifiques ont donc voulu savoir si la colonisation par les pins provoquait une modification de la composition, de la richesse ou de la diversité floristique des pelouses ou des landes. Et leurs observations mettent en évidence un impact variable suivant le type de pin. Pour des peuplements d’âge et de degrés de fermeture équivalents, un quart des espèces sont spécifiques au pin sylvestre ou au pin noir. Les forêts de pins sylvestres sont plus claires et abritent des espèces typiques de ces milieux et des litières acides. A l’inverse, dans les peuplements de pins noirs, on retrouve des espèces typiques des milieux frais et sombres.

La gestion des invasions ligneuses est une problématique mondiale. L’Australie, l’Afrique du sud, la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis, l’Europe de l’Est, nombreux sont les pays confrontés à la colonisation par les arbres des terrains en déprise. Outre la fermeture des paysages, l’invasion ligneuse pose aussi le problème de la colonisation des milieux par des espèces exotiques qui peuvent être plus dynamiques et invasives que les espèces natives, et de son impact sur la flore et la faune existante.

www.cemagref.f

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