Les biocarburants, menace pour les pays pauvres?

24 juin 2008 - La rédaction 
Les biocarburants ont été dénoncés comme étant parmi les principaux responsables du manque de matières premières à l’échelle mondiale, et donc, de la flambée de leurs prix. Quelle est la réalité de ce phénomène ? Réponse de deux protagonistes : Fabien Kay, responsable de la communication chez Proléa (en France, le diester représente plus de 50 % de la production de biocarburants), et Tamara Kummer, porte-parole en France du Programme alimentaire mondial (PAM).

NON : Fabien kay, responsable communication chez Proléa

Fabien kay, responsable communication chez Proléa

Les facteurs responsables de cette envolée des cours sont multiples et de nature très diverse : le prix du pétrole, la baisse des stocks alimentaires, les mauvaises récoltes mondiales, l’évolution du changement de vie en Asie qui conduit par exemple la Chine à importer des céréales plutôt qu’à en exporter… sans oublier la spéculation financière sur le marché même des matières premières agricoles.

Mais alors, pourquoi cet amalgame ?

Les surfaces des cultures destinées aux biocarburants progressent, et beaucoup pensent que cela se fait au détriment des productions alimentaires. Mais, en Europe, les biocarburants se développent de façon progressive et structurée. Et ce système est encore plus encadré en France, avec la mise en place des agréments. L’option prise par l’Europe n’a donc pas d’impact sur les pays les plus pauvres. En 2007, la production mondiale de biodiesel avoisinait les 8,5 Mt, celle d’huiles et de graisses 154,7 Mt. La part du biodiesel est donc infime ! On ne peut pas résumer les problèmes de faim dans le monde à un problème de disponibilité en huiles, c’est avant tout un problème de pauvreté.

Face aux tensions actuelles, une marche arrière est-elle envisageable ?

Non seulement elle n’est pas envisageable mais ce serait une fausse bonne idée. La France s’est fixé un seuil d’incorporation de 7 % de biodiesel dans le gazole en 2010 (contre 5,75 % pour l’Europe) et de 10 % en 2020. Nous maintenons ces objectifs car ils ne mettent pas en danger la production de colza alimentaire. En effet, en 2010, nous prévoyons que la France cultivera 2,3 Mha d’oléagineux. Or, 600 000 ha suffisent pour approvisionner le marché alimentaire. 1,450 Mha, colza et tournesol confondus, servira à fabriquer des biocarburants. Restent 250 000 ha qui pourront être exportés ou servir à autre chose.

La situation européenne est une chose. Mais dans le reste du monde, la situation n’est-elle pas beaucoup plus préoccupante ?

Paradoxalement, les prix actuels des matières premières peuvent être une opportunité pour que ces pays relancent une agriculture compétitive et économiquement viable. Bien sûr, il faut les aider à bâtir les infrastructures nécessaires et les épauler, via la coopération et des investissements financiers, et à développer leurs propres filières de production. Pour cela, il est capital de mettre à leur disposition les semences, les intrants, les conseils agronomiques adéquats pour qu’ils puissent produire davantage et mieux afin de dégager un revenu de leurs productions. La filière française des huiles apporte d’ailleurs déjà son expertise dans de nombreux pays en voie de développement.

OUI : Tamara Kummer, porte-parole en France du Programme alimentaire mondial (PAM).

Tamara Kummer, porte-parole
en France du Programme alimentaire mondial (PAM).
Aujourd’hui, au niveau mondial, selon les statistiques de la FAO, 10 Mt de céréales sont utilisées pour produire des biocarburants. Cela représente près de 12 % de la consommation mondiale annuelle. Si leur développement s’accélère, cela se fera aux dépens des cultures vivrières, en détournant des terres mais aussi des capitaux. Dans ce contexte, le prix des denrées alimentaires ne peut que continuer à augmenter, mettant alors en péril les populations les plus pauvres. En effet, les habitants n’ont parfois plus les moyens d’acheter des denrées même si celles-ci sont disponibles en quantité suffisante : ceci peut entraîner des troubles sociaux, comme actuellement en Afrique.

Cette production ne peut-elle pas être une opportunité pour certains pays ?

Oui dans certains cas. En créant de nouveaux débouchés, la production de biocarburants peut constituer une réelle opportunité pour les petits producteurs. Mais peu de pays possèdent l’outil industriel pour transformer les récoltes. Une forte demande risque aussi d’accroître la pression foncière sur les terres. Or beaucoup de pays ne possèdent pas de droits fonciers et du jour au lendemain, les agriculteurs peuvent se faire expulser de leurs propres terres. Le risque est présent et les impacts négatifs peuvent alors être très rapides.

Mais en Europe, la situation est toute autre ?

Oui bien sûr. Mais l’économie mondiale est beaucoup trop complexe et intégrée pour ne pas regarder ce qui se passe ailleurs. L’objectif européen, qui vise à incorporer 10 % de biocarburants dans l’essence en 2020, menace directement la sécurité alimentaire au niveau mondial car de nombreux pays en développement dépendent de nos exportations. La production européenne a donc un impact sur l’offre mondiale.

L’objectif de 10 % doit-il être revu à la baisse ?

Ce n’est pas à notre organisation humanitaire de le dire. Neutres, nous n’avons d’ordre à donner à personne. En revanche, nous sommes là pour alerter les pouvoirs publics. Une chose est sûre : depuis juin 2007, le prix des produits de base a augmenté de 40 % ce qui complexifie quotidiennement notre travail. Chaque année, nous distribuons près de 4 millions de tonnes de vivres dans 78 pays. Faute de dons supplémentaires, cette flambée des prix nous obligera soit à nourrir moins de gens (78 millions l’an passé), soit à réduire les portions distribuées.

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