Limiter les médicaments, en toute logique

28 septembre 2011 - La rédaction 
Francis et Régis Taupin, éleveurs dans la Nièvre, n’ont pas attendu l’annonce, en février, d’un plan de réduction des antibiotiques en élevage, pour diminuer les traitements vétérinaires sur leur ferme. Pour alléger leur charges autant que pour se faciliter le travail, c’est tout le fonctionnement de l’exploitation qui est raisonné.

C’est par un gros travail de prévention des maladies que Francis et Régis Taupin limite les traitements vétérinaires sur leur élevage de la Nièvre, depuis 1986. Avec un salarié, les deux frères gèrent cette exploitation de 250 hectares en polyculture élevage : ils possèdent un troupeau de 150 vaches charolaises allaitantes, et cultivent colza, blé, orge et prairies. De quoi s’assurer une quasi autonomie alimentaire pour la nourriture des animaux.

Leur déclic date de 1986, quelques années après leur installation. « Nous avions acheté, sans le savoir, un animal infecté par le virus du BVD, la diarrhée virale bovine, contagieuse au sein du troupeau et de la vache au veau, explique Francis Taupin. En quatre ans, cent veaux en sont morts. » Ce coup dur pour l’exploitation est à l’origine de leur réflexion sur la question sanitaire.

Rationaliser le travail et limiter les coûts

Francis Taupin est éleveur dans la Nièvre. Il présente le carnet sanitaire d'élevage, tenu sur l'exploitation.
Les soins apportés aux animaux sont consignés dans le carnet sanitaire d’élevage. La tenue de ce document est obligatoire depuis 2000. Chez les Taupin, il existe depuis toujours, car il est aussi un précieux outil de coordination entre les deux exploitants (ici Francis) et leur salarié. (Photo : M.L)

Peu à peu, toute une logique s’est mise en place. Le but principal : réduire les coûts liés aux maladies et rationaliser le travail. « Dès 1986, nous avons choisi des vaches sélectionnées génétiquement pour leur capacité à mettre bas facilement », détaille l’éleveur. À la clé, moins de problèmes, moins de recours aux vétérinaires, donc moins de frais ! « En 1986, ce n’était pas encore obligatoire, mais nous tenions déjà un registre pour noter chaque traitement vétérinaire. » Aujourd’hui, c’est dans le « carnet sanitaire d’élevage » (1) que sont consignés les soins : date, animal ou lot d’animaux traité, maladie, traitement, nom du vétérinaire… Un précieux outil de suivi du cheptel, mais aussi de coordination pour les trois hommes qui travaillent sur l’exploitation.

Les traitements sont réduits au nécessaire. Les antibiotiques notamment ne sont utilisés qu’en cas de besoin. Les problèmes de santé des animaux se concentrent sur la période de mise bas, entre décembre et février. De fin novembre à début avril, les animaux sont rentrés dans les bâtiments ; la promiscuité favorise les problèmes pulmonaires et la transmission des virus.

 

 

 class=
Chez Francis Taupin, les animaux passent huit mois à l’air libre, de début avril à fin novembre. Ils changent régulièrement de pré pour éviter le développement des parasites. (Photo : M.L.)

 

Les veaux reçoivent donc un vaccin à la naissance (2), puis un vaccin contre l’entérotoxémie et des traitements ciblés contre certains parasites (ascaris, douves et strongles). « Le parasitisme est limité ici », explique Rodolphe Morizot, technicien au Groupement de défense sanitaire de la Nièvre (GDS), qui accompagne les frères Taupin depuis plus de quinze ans. « Les terrains ne sont pas particulièrement humides, ce qui limite les problèmes. De plus, Francis et Régis ne laissent jamais les animaux plus de trois semaines dans le même pré, ce qui casse le cycle de développement des parasites comme ces vers appelés strongles. »

 

 

 

 

Mieux vaut prévenir que guérir
Or on sait que « les bovins ont la capacité à devenir résistants aux strongles lorsqu’ils sont en contact avec eux », précise Rodolphe Morizot. Développer l’immunité naturelle des animaux est intéressant pour réduire les traitements et garantir la santé du troupeau dans la durée, mais « l’équilibre reste délicat à trouver, car il faut aussi éviter la maladie, qui pénalise directement la productivité », conclut le technicien.

Pour les vaches la logique est simple : « En vaccinant la mère on protège le veau », explique Francis Taupin. En prévention, elles sont donc vaccinées contre trois virus (3).


Bâtiments adaptés, maladies évitées
Autre levier pour prévenir les maladies tout en rationalisant le travail : les bâtiments. Murs à claire-voie, système d’appel d’air par le faîte du toit : ils sont conçus pour favoriser la circulation de l’air. Leur structure en bois limite l’humidité. Ils sont curés, vidés, et désinfectés chaque année. Ils sont aussi conçus pour pouvoir isoler certaines vaches et « les surveiller de plus près, observer que le veau commence bien à téter et profite du colostrum, le premier lait, plein d’anticorps et de protéines qui le protègent. »

Une démarche de progrès

La stabulation de l'exploitation de Régis et Francis Taupin est conçue pour limiter l'apparition des maladies et faciliter la surveillance des animaux.
Ce bâtiment, construit en 2009 possède des murs à claire-voie, des fenêtres sur la partie gauche de la toiture et au niveau du sol à droite. La partie droite du toit est couverte de panneaux photovoltaïques, « afin de diversifier le revenu », relève Francis Taupin. (Photo : M.L.)

Démarche volontaire, le Gaec Taupin réalise chaque année un bilan des soins avec l’un de ses vétérinaires habituels. « Un véritable outil de progrès, car on repère très facilement ce que l’on fait par habitude ou facilité et les interventions qui n’ont pas été efficaces. »

Rodolphe Morizot le rappelle : « Les maladies coûtent cher à l’éleveur ». Parce qu’une bête qui meurt, c’est un animal qui ne sera pas vendu, parce que les médicaments et les honoraires vétérinaires sont onéreux, parce que les acheteurs d’animaux vivants demandent de plus en plus de garanties sanitaires, sans oublier, en toile de fond, les difficultés économiques de la filière française d’élevage. « Les éleveurs ne gaspillent pas les médicaments », martèle-t-il.

 

 

Fini le « vétérinaire-pompier »
Chez les Taupin, les frais vétérinaires annuels sont dans la moyenne nationale : autour de 40 € par an par UGB (unité gros bovin(4)). D’une manière générale, « les agriculteurs sont de plus en plus formés, ont un BTS ou un diplôme d’ingénieur. Le vétérinaire-pompier ne suffit plus : les éleveurs sont aussi demandeurs de conseils en amont ».

C’est d’ailleurs tout un réseau qui accompagne le producteur dans la conduite de son exploitation et le raisonnement des traitements : les conseils techniques des GDS, les formations comme celle d’« éleveur infirmier», organisée par le GDS de la Nièvre, ou encore les systèmes de surveillance et d’alerte des organismes professionnels. Un réseau qui s’attache également à communiquer auprès des agriculteurs les pratiques existantes pour que les médicaments soient employés à bon escient en élevage.

Pour Rodolphe Morizot, « depuis la crise de la vache folle, nous avons aussi appris à communiquer envers le grand public ». Les outils mis en place, par obligation ou volontairement, sont autant de signes visibles de l’amélioration et de la rationalisation des pratiques.


(1) Le carnet sanitaire d’élevage est obligatoire depuis 2000. C’est un des critères à remplir pour obtenir des aides de la Pac, la politique agricole européenne.
(2) Les veaux sont vaccinés à la naissance contre le RSV (virus syncitial respiratoire) bovin, potentiellement mortel.
(3) Le BVD, les rotavirus et coronavirus.
(4) Par exemple, une vache représente 1 UGB (unité gros bovin) et un taurillon 0,7 à 0,8.

Laisser un commentaire

Recevoir la newsletter

Restez informé en vous abonnant gratuitement à la newsletter