Méthanisation : faire évoluer le statut juridique des digestats

7 janvier 2014 - La rédaction 

Afin de permettre à la méthanisation de prendre de l'ampleur, le devenir des digestats ne doit pas être oublié. Actuellement considéré comme déchet, leur homologation leur permettrait d'accéder au statut de produit commercialisable. Outre son intérêt environnemental, elle ouvrirait également la voie à une valorisation plus large des digestats, participant à une meilleure rentabilité financière de nombreux projets. Maxime Lavayssière, avocat à la Cour, JeantetAssociés AARPI (75) a fait la point pour Référence-environnement.com*

Référence environnement : Pourquoi est-il intéressant que les digestats de méthanisation puissent obtenir le statut de produit ?
Maxime Lavayssière : A ce jour, les digestats de méthanisation sont considérés comme des déchets par le code de l'environnement en raison de leur provenance d'installations classées au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Leur utilisation en tant que fertilisant n'est possible que dans le cadre de plans d'épandages contrôlés, le statut de déchet en interdisant la commercialisation et la libre circulation.
La lourdeur et les coûts engendrés par leur suivi administratif lié à la réglementation ICPE, conjugués aux réalités agricoles françaises, militent pour une évolution du statut vers celui de « produit ». En effet, leur homologation pourrait aider au déplacement d'excédents de fertilisants organiques de certaines régions ainsi qu'à la baisse des importations de fertilisants d'origine fossile.

R.E. : Quelle est la procédure en France ?

 class=
Maxime Lavayssière, avocat à la Cour, JeantetAssociés AARPI (75)

M.L. : L'obtention du statut de « produit » est subordonnée à une homologation en tant que matières fertilisantes ou supports de culture (1). La qualité des digestats dépendant directement du type d'intrants utilisés, du processus de méthanisation ainsi que des éventuels post-traitements réalisés, il n'existe pas un unique type de digestats. Cette réalité physique nécessitera la conduite d'autant de procédures d'homologation différentes qu'il existe de types de digestats.
La demande d'homologation peut être conduite par un demandeur unique ou au moyen d'une « demande individuelle sous forme collective », i.e., déposée par des porteurs de projet utilisant les mêmes intrants, le même process et le même traitement des digestats. Cette dernière solution permet une mutualisation des coûts d'études et d'analyses.
L'instruction des demandes est conduite par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, Anses. Au terme de cette instruction, qui peut durer de 6 à 8 mois, l'Anses transmet son avis au ministre de l'Agriculture qui peut délivrer une homologation ou une autorisation provisoire de quatre ans.
Si la procédure peut être considérée comme longue et coûteuse, une fois l'homologation obtenue, les porteurs de projet sont affranchis des procédures lourdes de suivi administratif requises des plans d'épandage.
Quelques procédures d'homologation sont en cours, notamment en Bretagne et certaines d'entres elles viennent de recevoir un avis positif de l'Anses (NDLR : l'Anses vient de rendre trois avis positifs pour l'homologation de digestat de la société Geotexia Mené). Certaines initiatives sont également conduites localement pour faciliter le dépôt des demandes d'homologation, à l'instar du programme Valdipro, créé par l'Association d'initiative locale pour l'énergie et l'environnement (AILE) et animé par la Chambre d'agriculture de Bretagne. Par ailleurs, les pouvoirs publics semblent sensibilisés à la question, avec la mise en place du plan « Energie Méthanisation Autonomie Azote », EMAA.

R.E. : Où en est-on en Europe ?
M.L. :
Au niveau communautaire, en application de l'article 6-4(2) de la directive cadre n° 2008/98/CE (3) sur la sortie du statut de déchets, à défaut de critères fixés au niveau de l'Union européenne pour les déchets non couverts par cette directive, il appartient directement aux États membres de décider au cas par cas leurs propres règles. Ce qu'a fait le législateur français en introduisant dans le code de l'environnement un article L. 541-4-3 relatif aux conditions dans lesquelles « un déchet cesse d'être un déchet ».
Par ailleurs, la Commission européenne a entamé une procédure d'élaboration d'un règlement en demandant au Joint Research Center (JRC) de travailler sur les conditions d'accès au statut de produit pour les déchets biodégradables ayant subi un traitement biologique. Cette initiative d'uniformisation a provoqué un certain nombre de réactions, et ce d'autant plus que le digestat ne fait que très rarement l'objet d'exportation au sein de l'UE. La Commission a été alors obligée de répondre que l'existence des réglementations nationales et le principe de subsidiarité seraient pris en compte par le JRC et que la nécessité de prendre des mesures au niveau européen ne sera évaluée qu'à l'issue de sa mission. Affaire à suivre et sur laquelle la France doit être vigilante et devra s'entendre avec l'Allemagne afin d'éviter des conditions d'homologation strictes, excluant de fait nombre des digestats issus des activités agricoles hexagonales.
Les réponses que peut apporter l'homologation des digestats de méthanisation à la rentabilité des projets ainsi qu'à la protection de l'environnement sont autant de preuves que le statut des digestats doit évoluer. Le monde agricole a toujours été au premier rang des problématiques environnementales et énergétiques, il doit voir sa place d'acteur majeur de la transition énergétique et de l'économie biosourcée consolidée. L'homologation des digestats pourrait en être une des prochaines déclinaisons…


Maxime Lavayssière, avocat à la Cour, JeantetAssociés AARPI (75)
(1) La procédure d'homologation proprement dite est encadrée par les articles L255-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, et son régime est complété par un arrêté du 21 décembre 1998 précisant les éléments administratifs et techniques du dossier.
(2) Article 6-4 de la directive n° 2008/98/CE : « Si aucun critère n'a été défini au niveau communautaire au titre de la procédure visée aux paragraphes 1 et 2 (valorisation et recyclage), les États membres peuvent décider au cas par cas si certains déchets ont cessé d'être des déchets en tenant compte de la jurisprudence applicable. Ils notifient de telles décisions à la Commission conformément à la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information (1), lorsque celle-ci l'exige ».
(3) Cette directive a été transposée en droit français par l'ordonnance du 17 décembre 2010 (J.O. du 3 mai 2012). Un décret d'application n° 2012-602 a été pris en date du 30 avril 2012 et entré en vigueur le 1er octobre 2012 portant sur la procédure de sortie de déchet.


*Article à retrouver également sur : EXPERTISE JURIDIQUE – Méthanisation, faire évoluer le statut juridique des digestat ((http://www.reference-environnement.com/2013/12/23/methanisation-faire-evoluer-le-statut-juridique-des-digestats/))
 

Laisser un commentaire

Recevoir la newsletter

Restez informé en vous abonnant gratuitement à la newsletter