Préserver la biodiversité, "un atout pour l’agriculture"

22 mars 2011 - La rédaction 
Jacques Baudry est chercheur à l’unité de recherche SAD-Paysage de l’Inra. Il coordonne le programme de recherche Diva (Action publique, agriculture et biodiversité) au sein du ministère de l’Environnement. Par ses travaux, il participe largement au développement de l’écologie du paysage, en France et dans le monde.

Interview de Jacques Baudry, chercheur à l’Inra.

Campagnes et Environnement : Comment définissez-vous votre discipline : l’écologie du paysage ?

Jacques Baudry :
L’écologie du paysage est une discipline jeune, née dans les années quatre-vingt. Elle présente quatre particularités qui la différencient de l’écologie classique : la prise en compte de l’hétérogénéité spatiale des paysages dans l’étude des processus écologiques, la prise en compte de l’Homme en tant que partie prenante des systèmes écologiques, la prise en compte du temps et enfin l’organisation de recherches à des échelles pertinentes pour les aménageurs.

C&E : Sur quoi vos recherches à l’Inra portent-elles concrètement ?

Jacques Baudry est chercheur à l’unité de recherche SAD-Paysage de l’Inra. Il coordonne le programme de recherche Diva (Action publique, agriculture et biodiversité) au sein du ministère de l’Environnement. (crédits : D.R.)

J. B. : L’unité de recherche Inra SAD-Paysage et ses collaborateurs travaillent sur les interactions entre activités agricoles, paysage et biodiversité, au niveau de territoires agricoles et ruraux. Ces recherches poursuivent deux enjeux finalisés : la durabilité des pratiques agricoles impliquées dans la gestion des ressources paysagères et de la biodiversité et la préservation des fonctions écologiques et agricoles des paysages.

C&E : Quelle est la part de la biodiversité due aux pratiques agricoles et quelle est celle due à l’hétérogénéité du paysage ?

J. B. :
Pratiques agricoles, modes de production et hétérogénéité du paysage agissent simultanément sur la biodiversité, parfois en synergie, parfois en opposition, l’effet de l’un pouvant limiter les effets potentiels de l’autre. Évaluer la part relative de ces facteurs sur l’état et la dynamique de la biodiversité dans les paysages agricoles n’est pas aisé. On sait bien que l’intensification de l’agriculture ces cinquante dernières années, par l’utilisation massive des fertilisants et des pesticides, a contribué à la dégradation de la biodiversité des milieux. Cette intensification s’est en outre accompagnée d’une spécialisation des cultures par bassins de production engendrant une simplification des paysages dommageable à la biodiversité.

À l’inverse, les pratiques de gestion extensive sont plus favorables à la biodiversité car des perturbations modérées des écosystèmes ont des effets positifs sur la richesse en espèces. L’expertise collective réalisée par l’Inra, « Agriculture et biodiversité », en 2008, montre que la biodiversité des territoires agricoles est très dépendante des espaces semi-naturels : haies, buissons, marécages, bords des champs enherbés…

Enfin, l’échelle territoriale joue différemment, selon les espèces. Les pratiques agricoles dans la parcelle sont déterminantes pour la faune peu mobile et les végétaux à reproduction locale tandis que, pour les coléoptères, les papillons ou les oiseaux, la structure du paysage possède un rôle majeur, jusqu’à compenser celui des pratiques culturales.

C&E : Avez-vous pu mesurer les effets de l’agriculture biologique sur la biodiversité dans les paysages agricoles ?

J. B. : Toutes les observations montrent que le passage d’une agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique enrichirait progressivement la diversité végétale et animale, à condition toutefois que la biodiversité n’ait pas été trop érodée ou le paysage rendu trop homogène. Il y a peu d’effets dans les paysages simples et très intensifiés, par manque de populations sources.

En revanche, dans les paysages où il reste encore quelques habitats semi-naturels et des populations sources, le passage à l’agriculture biologique aura un effet particulièrement positif sur la biodiversité. N’oublions pas que l’agriculture biologique peut, par le travail répété du sol pour contrôler les mauvaises herbes, détruire les œufs et les larves d’insectes auxiliaires passant une partie de leur cycle dans le sol.

Enfin, dans les paysages complexes où parcelles cultivées plutôt de petite taille et éléments semi-naturels sont mêlés, l’agriculture biologique aura peu d’incidence dans la mesure où la biodiversité est élevée sur l’ensemble du territoire. Plus généralement, c’est le développement de systèmes agricoles innovants qui permet de limiter la perte de biodiversité comme l’utilisation de rotations longues et diversifiées, celle de cultures associées, la simplification du travail du sol et l’organisation des paysages par la diversité des cultures et le maintien d’espaces semi-naturels.

C&E : Y a-t-il un paysage idéal pour maintenir la biodiversité ?

J. B. : Non ! Un paysage idéal, ce serait la même flore et le la même faune partout, donc une diminution globale de la biodiversité. L’hétérogénéité des paysages agricoles a globalement un effet positif sur la biodiversité. Elle augmente la richesse spécifique de la majorité des groupes animaux et des plantes, et concourt à l’augmentation de l’abondance de la plupart d’entre eux. L’homogénéisation du paysage conduit, quant à elle, à une banalisation des communautés par diminution des espèces rares et augmentation des espèces communes.

C&E : Vous coordonnez pour le ministère de l’Environnement le programme de recherche Diva* « Action publique, agriculture et biodiversité ». Qu’attendez-vous du nouvel appel à proposition de recherche « Continuités écologiques dans les territoires ruraux et leurs interfaces », lancé fin janvier ?

J. B. : Cet appel à proposition de recherche vise à apporter des références scientifiques pour la mise en œuvre de la politique « Trame verte et bleue » qui est un des engagements phares du Grenelle de l’environnement. Il s’articulera autour des trois axes complémentaires suivants : les fonctionnalités écologiques des différentes composantes de la trame verte à différentes échelles, les processus d’innovation dans l’action publique et, enfin, la gestion des trames et le suivi de leur efficacité. Les projets pluridisciplinaires, en particulier ceux alliant sciences de l’environnement et sciences humaines et sociales, seront vivement encouragés.

C&E : Pourquoi la mise en œuvre opérationnelle d’une trame verte dans l’aménagement d’un territoire semble-t-elle si difficile ?

J. B. :
Les instruments juridiques font encore défaut et les connaissances scientifiques ne sont pas toutes disponibles. La difficulté est de coupler les mesures agricoles, les mesures d’urbanisme et les mesures environnementales. Ainsi la mise en place d’une trame verte ne peut dispenser de raisonner le type de gestion des surfaces agricoles en fonction des objectifs de biodiversité poursuivis. Parfois il faudra envisager de changer la gestion voire l’utilisation de certaines parcelles, ce qui pose le problème de l’acceptabilité, pour les agriculteurs, de tels changements. On pourra changer la réalité sur le terrain dès lors que la biodiversité sera considérée comme un atout pour l’agriculture et non comme une contrainte.

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