Un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) révélait le 15 mars 2017 que 90 % des français estiment que la transition de l’agriculture conventionnelle vers une agriculture plus durable est « prioritaire ». Pour accompagner cette évolution, l’État dispose de plusieurs leviers, dont la commande publique. En décidant, par exemple, d’un pourcentage de bio dans la restauration collective : cantines scolaires, hôpitaux, prisons… Plusieurs candidats aux élections présidentielles ont formulé des propositions à ce sujet, le curseur variant entre 50 % de bio et/ou de local dans les cantines scolaires d’ici à 2020 pour Emmanuel Macron ou Benoit Hamon, à 100 % en 2022 pour Jean-Luc Mélenchon.
Est-ce réalisable ? Quels sériaient les moyens d’y parvenir ? « Le bio évolue, mais le prévoir et le contrôler spécifiquement dans les cantines est difficile. Il faut tenir compte de beaucoup d’aspect : le marché français, la volonté des élus, des cuisiniers et des parents, le taux de conversion… Un objectif raisonnable serait de se fixer d’abord la barre à 20 %. Ce taux sera surtout dépendant de l’évolution du secteur agricole, qui ne se fera que sur une longue échéance », résume Étienne Gangneron, exploitant bio à Bourges depuis 20 ans et vice président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
État de l’art du bio dans les cantines scolaires : 100 %, c’est possible… localement
Actuellement, le bio représente environ 5 % dans les cantines françaises, avec de fortes disparités à travers le pays. Ce bio est acheté pour 78 % en France, et pour 39 % à échelle régionale : il s’agit donc majoritairement de bio « local ».
Certaines communes sont passées au 100 % bio dans les cantines. Présenté dans le film « 0 phyto 100 % Bio » de Guillaume Bodin, le village de Mouans-Sartoux (PACA) est un exemple de conversion réussie. En 2008, le repas coûte 1,92 € avec 20 % de bio. En 2012, il coûte 1,86 € pour 100 % de bio ! Pour éviter le surcoût, la mairie a mis en place une démarche globale, visant en plus du bio la réduction du gaspillage, la diminution de la part de produits carnés, des quantités adaptées… En passant de 146 g à 30 g de gaspillage en moyenne par repas par personne, la commune a réalisé une économie de 0, 20 € qui a compensé l’augmentation du prix du repas.
En suivant l’exemple de Mouans-Sartoux, la France pourrait-elle atteindre le 100 % bio ? Les limites sont nombreuses. « C’est facile d’annoncer un taux, mais il s’agit en réalité d’une adéquation très complexe, explique Étienne Gangneron. Par exemple, en France, on manque de fruits et légumes bio, alors que c’est la plus grosse demande bio des cantines. »
Quelles limites au « tout bio, tout local » dans les cantines ?
L’infrastructure joue un rôle-clé : de nombreux établissements de restauration scolaires n’ont plus de cuisines. Il est difficile d’y faire du bio dans la mesure où ce dernier doit souvent être préparé, épluché, cuit et pas simplement réchauffé… L’investissement de départ est donc plus conséquent.
Les parties prenantes et leur motivation sont déterminantes. « Les cuisiniers sont un élément central de l’initiative bio. Très souvent, ils expriment le désir de ne plus être des « ouvreurs de barquette » mais bien de « vrais cuisiniers » avec leurs préférences et leurs touches personnelles, quitte à travailler un petit plus », affirme Jean-Paul Gabillard, producteur de légumes bio à Rennes et secrétaire national, en charge de la restauration collective à la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB).
Mais cette volonté doit être partagée avec d’autres acteurs : les parents, les élus … Ces derniers craignent le surcoût, d’autant que les budgets municipaux diminuent. « Cette lutte pour garder les prix le plus bas possible amène à de gros paradoxes : pour avoir un peu de bio, certaines cantines diminuent le prix, et donc la qualité, de tous les produits conventionnels proposés à coté… c’est contre-productif ! », relève Étienne Gangneron.
Pourrait-on produire plus de bio ? Possible, mais là encore difficile à prévoir. La demande est supérieure à l’offre française. Pour produire plus, et à courte échéance, il faudrait convertir massivement des surfaces conventionnelles au bio. Or, le taux de conversion se stabilise à environ 12 % par an, du fait d’une stagnation des subventions européennes. De plus, un gros retard existe dans le paiement des aides, certains exploitants n’ont pas encore reçu celles de 2015. « Un risque sérieux d’absence d’aides à la conversion en 2017 persiste, malgré les engagements gouvernementaux. C’est paradoxal : beaucoup d’agriculteurs bio ont de gros problèmes de trésorerie, alors que ces dernières années, l’un des arguments des exploitants conventionnels qui passaient en bio était de pouvoir améliorer leurs finances », complète Jean-Paul Gabillard.
Si on ne peut produire davantage de bio, est-il envisageable de réorienter massivement le bio français existant vers la restauration collective et les cantines scolaires ? « Non, répond Jean-Paul Gabillard. Orienter le bio vers un seul débouché c’est prendre trop de risque, il faut diversifier les marchés. D’autant que la demande des particuliers est très forte, et que le secteur des cantines est inactif 4 à 5 mois dans l’année. »
Pour conclure, Jean-Paul Gabillard livre le même chiffre qu’Étienne Gangneron. Et rappelle que le bio dans les cantines ne revêt pas seulement une importance quantitative : « 50 ou 100 %, ça ne me parait pas crédible : 20 % en 2022, ce serait déjà bien. Il faudrait garder un bon taux de conversion à la production. Cet objectif est très important, parce que plus qu’un débouché, la cantine scolaire est une vitrine du bio et de la nourriture saine pour la génération de demain. »
*Actuellement, la part du bio dans la surface agricole française est de 5,7 % (Agence Bio).