Redevenir agronomes

4 octobre 2006 - La rédaction 
Au cœur du Parc naturel de Lorraine, en zone vulnérable, Bertrand et Gérard Davrainville exploitent dans la vallée de la Seille, à Marsal (Moselle), une ferme de 240 hectares et élèvent 70 vaches allaitantes de race limousine. Cette situation géographique particulière a bien sûr eu des conséquences sur les choix de conduite d’exploitation des deux frères.

“Le respect de l’environnement entre dans les mœurs de la génération des 40 ans, nous réapprenons à surveiller nos sols, à respecter la nature, à faire en sorte que ce soit le sol qui nourrisse la plante, qu’il ne soit plus un simple support. En un mot, nous redevenons des agronomes.” En conséquence, Bertrand Davrainville, 41 ans, a donc progressivement repensé toutes ses actions afin de respecter l’environnement particulier qui l’entoure. “À marge égale, on choisit désormais un itinéraire moins gourmand en engrais et en pesticides, c’est une démarche volontaire, beaucoup plus technique et bien plus valorisante pour nous”, renchérit Gérard, 38 ans.

Bertrand (à droite) et Gérard Davrainville, éleveurs de vaches limousines et céréaliers : “Le respect de l’environnement entre dans les mœurs de la génération des 40 ans”.

Les frères Davrainville, installés depuis 1992, ont pris réellement conscience de la nécessité du respect de leur environnement, lorsqu’en 2001 une partie de leurs parcelles a été classée Natura 2000. Cette classification s’est appliquée à leurs prairies halophiles (1) – nombreuses dans ce secteur où le sel a longtemps été l’or blanc de la région -– et implique de préserver la faune et la flore, comme les courlis cendrés ou la passe-pierre (salicorne), de limiter la fertilisation, de respecter des dates de pâture et de fauches des prairies, mais également de ne pas dépasser le seuil de plus d’une UGB (unité gros bovin) à l’hectare. À partir de cette date, démarre ainsi sur l’exploitation des frères Davrainville une réflexion globale à propos de l’environnement. “En 2003, nous avons créé un CTE (Contrat territorial d’exploitation), explique Gérard Davrainville, nous respections depuis longtemps déjà une grande partie des contraintes qu’il imposait. Nous ne mettions pas beaucoup plus de 60 unités d’azote sur nos prairies permanentes. Les dates de fauche imposées ne sont vraiment pas contraignantes, par contre nous nous sommes rendu compte que les montants perçus, 5 000 euros par an, étaient bien une compensation du manque à gagner et non une prime.”

Un cahier des charges élevage strict

L’hiver les vaches allaitantes limousines sont principalement nourries de foin et l’été, d’herbe : une production très écologique !

Dans le cadre du PMPOA 2 (Plan de maîtrise des pollutions d’origines agricoles), les frères Davrainville ont réalisé en 2004 leur Dexel (diagnostic global de l’exploitation orienté sur la gestion des effluents). Ils se sont engagés à octroyer plus d’espace à chaque bête afin d’aboutir à une autonomie plus longue de stockage de fumier, permettant ainsi de ne pas épandre durant l’hiver et donc de limiter les lessivages, mais aussi d’améliorer le bien-être des animaux. Un nouveau bâtiment a donc été construit et un ancien aménagé pour espacer les animaux.
Avec 70 vaches allaitantes limousines, ils s’inscrivent dans la filière qualité viande de la CAPV (Coopérative agricole production viande) et choisissent de respecter un cahier des charges strict : tenue d’un registre sanitaire, absence de maïs ensilage dans la ration alimentaire des animaux, fourrages secs et céréales produits sur la ferme, font que l’élevage est à 90 % en autonomie alimentaire. Ils n’achètent que les minéraux et la luzerne déshydratée. “Nos animaux sont presque bios, signale Bertrand Davrainville, ils ne reçoivent des antibiotiques que lorsque c’est nécessaire, j’apporte très peu d’engrais sur mes prairies. En ne faisant plus de maïs ensilage, plante considérée comme gourmande en eau et en intrants, non seulement nous gagnons du temps, mais en plus nous nous inscrivons dans une démarche environnementale. Nous avons ainsi la fierté de voir notre viande sur les étals des supermarchés régionaux, distribuée sous les marques commerciales Lorraine qualité viande ou Blason prestige”, souligne-t-il.

Respect de l’environnement et rentabilité

Si la rigueur s’applique à la conduite d’élevage, elle se justifie également au niveau de l’entretien du matériel. Ainsi, lorsqu’en 2004, la citerne d’azote s’est mise à fuir, les frères Davrainville n’ont donc pas cherché à entreprendre des réparations hasardeuses. Ils ont investi dans une citerne inox neuve et repensent alors la conduite céréalière de leur exploitation : ils s’inscrivent dans “le socle grandes cultures” et s’engagent à en respecter ses 24 points. Et vont même jusqu’à traiter, depuis plusieurs années déjà, leur maïs contre la pyrale avec des trichogrammes, et non plus des deltaméthrines, et à acheter un local phyto complet en 2004. De plus, pour éviter de pomper dans le réseau l’eau nécessaire aux traitements, un ancien tank à lait, transformé par eux-mêmes et installé sur une plate-forme à 3 mètres du sol, constitue une réserve d’eau avec descente par gravité, évitant ainsi les retours accidentels de pesticides dans le réseau. Gérard précise : “nous récupérons les bidons, les rinçons et les mettons en sacs pour Adivalor. Nous n’irions plus les brûler, ça ne nous viendrait même plus à l’esprit”.
Les 24 points du socle grandes cultures sont atteints, Bertrand et Gérard Davrainville s’engagent naturellement vers les 98 points du référentiel agriculture raisonnée. Toujours dans cette même logique d’une exploitation rentable mais respectueuse de l’environnement, ils ont intégré le groupe du Suad de Moselle (Service d’utilité agricole et de développement). “Au sein du Suad, comparer nos résultats aux autres exploitations est très stimulant et enrichissant”, indique Gérard. Ils ont d’ailleurs payé 800 euros/an les services d’un conseiller technique qui réalise leur plan d’épandage et leur bilan azoté pour chaque culture. Gestion et suivi de parcelles, analyses des marges, réduction des intrants sont les principaux thèmes abordés dans ce groupe d’une vingtaine d’exploitations. “En suivant cet objectif environnemental, nous obtenons les mêmes marges, complète Bertrand, ce qui me fait penser, qu’il y a plus de dix ans, nous faisions fausse route ! J’ai le sentiment d’être dans le vrai. C’est cette image d’hommes respectueux de l’environnement que je veux donner des agriculteurs.”

(1) Végétation qui croît naturellement sur des sols à forte teneur en divers sels.
Permis d’épandre !

Dans le cadre de l’entreprise de travaux agricoles (ETA) des frères Davrainville créée en 1989, Gérard a suivi une formation d’applicateur de produits phytosanitaires. Son permis doit être renouvelé tous les cinq ans et le pulvérisateur contrôlé tous les deux ans. Ce stage de deux jours, avec examen à la clé, s’effectue en présence d’intervenants de la MSA (Mutualité sociale agricole) et de l’agence de l’eau. Gérard a ainsi pris conscience des conséquences de mauvaises manipulations sur sa propre santé et de leur impact sur l’eau et l’environnement. Ses pratiques en ont été profondément modifiées : achat de masques, gants et tenues complètes, traitements adaptés au plus juste, absence de rejets de fond de cuves en bout de champ. L’achat d’un Phytobac est désormais prévu, avec aire de remplissage et récupération des fonds de cuve.

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