Depuis sa nomination au ministère de l’Agriculture, Stéphane Le Foll le revendique haut et fort : les agriculteurs détiennent une partie des solutions à apporter pour lutter contre le changement climatique. Une idée sur laquelle repose le programme « 4 pour mille, », de captation du carbone dans les sols 4 et qu’il compte exprimer fortement lors de la COP21. Entretien exclusif.
La COP21 est l’occasion de situer l’agriculture dans un système plus global. Quel message souhaitez-vous transmettre aux autres acteurs de la conférence ?
L’agriculture, en tant qu’activité de production, est consommatrice de ressources et participe aux émissions de gaz à effet de serre. Cependant, si l’on adopte une approche systémique et que l’on considère l’ensemble des interactions de l’agriculture avec son environnement, force est de constater que l’agriculture peut aussi permettre de lutter contre le réchauffement climatique. C’est en particulier le cas au travers de la captation du carbone par les plantes qui permet d’enrichir les sols tout en fixant l’azote et ainsi sa séquestration par les sols. En ce sens, l’agriculture peut être une solution pour lutter contre le réchauffement climatique. De la même façon, l’agriculture peut être une source d’énergie via la production d’énergies renouvelables, qu’elles soient photovoltaïque, issue de la méthanisation…Il faut sortir d’une approche stigmatisante qui fait de l’agriculture un problème. Elle recèle en réalité une partie des solutions à la lutte contre le réchauffement climatique.
Des initiatives vraiment ciblées pour lutter contre le changement climatique existent. Comment les généraliser ?
Je crois que pour lutter contre le changement climatique, l’agriculture doit continuer sur la voie de l’agro-écologie. Pour moi, l’un des facteurs qui sera déterminant pour diffuser de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement, tout en conservant un haut niveau de rentabilité économique, réside dans une organisation plus collective des pratiques. C’est grâce à elle, autour de l’échange de pratiques, par une émulation autour de nouvelles méthodes agronomiques que doit se passer cette transition.
« Nous sommes passés d’agriculteurs pionniers à la mise en place d’un système organisé avec des outils législatifs et des aides. »
C’est pourquoi j’ai créé, dans la loi d’Avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, les Groupements d’intérêt économique et environnemental, GIEE. Ils permettent aux agriculteurs de s’organiser collectivement autour de pratiques agro-écologiques dans le cadre d’un projet de territoire. C’est comme cela que, progressivement, nous pourrons généraliser les pratiques bénéfiques pour l’environnement. Nous avons aujourd’hui plus de 200 000 hectares concernés au travers de l’expérience menée au sein de plus de 150 GIEE…
Je tiens à souligner la proportion élevée e projets retenus dans le secteur de l’élevage. Développement de la méthanisation, gestion des prairies pour stocker le carbone, démarches dans le sens de l’autonomie fourragère… Les éleveurs sont investis dans 60 % des GIEE validés à ce jour.
Nous sommes passés d’agriculteurs pionniers, que nous avons identifiés dès 2012, à la mise en place d’un système organisé avec des outils législatifs et des aides majorées pour les GIEE. Il faudra du temps, c’est certain, mais je suis convaincu que nous avons franchi une étape sur laquelle personne ne reviendra.
Vous avez lancé le programme 4 pour mille en mars. Quelle pourrait être la place des agriculteurs dans ce programme ?
Certains agriculteurs ont anticipé ces questions. Comme pour l’agroécologie, il faut s’appuyer sur les pionniers, les exploitations qui ont déjà des résultats en la matière, et qui constituent justement une matière première importante pour les chercheurs, et une vitrine concrète pour convaincre des décideurs.
« La communauté scientifique, les instituts techniques et certains réseaux d’agriculteurs ont montré leur intérêt pour participer à la grande aventure de la captation du carbone »
Dans le 4 pour mille, le carbone capté dans l’atmosphère vient enrichir le sol. Cela signifie que, mécaniquement, la captation du carbone de l’air permet aux sols de conserver ou recouvrer une qualité et une biodiversité favorables à une meilleure productivité. Les agriculteurs seront les premiers bénéficiaires des conclusions auxquelles aboutiront les scientifiques. Ils seront en quelque sorte les partenaires privilégiés d’une recherche appliquée, au travers de leurs observations et des données qu’ils pourront recueillir, et qui viendront enrichir les travaux des scientifiques.
Dans l’Ohio, j’ai rencontré des agriculteurs engagés dans une voie similaire à celle du 4 pour mille. Je peux vous dire que leurs résultats agronomiques sont d’ores et déjà impressionnants. En outre, leurs sols sont vivants et regorgent de matière organique. Pour moi, tout cela est plus qu’encourageant. La communauté scientifique, les instituts techniques et certains réseaux d’agriculteurs ont montré leur intérêt pour participer à la grande aventure de la captation du carbone, l’enjeu est aujourd’hui de se donner les moyens de fédérer toutes ces énergies.
Depuis six mois, vous essayez de fédérer au niveau politique et scientifi que. Quels partenaires ont rejoint le programme ?
J’ai présenté le programme à l’ONU en juin, puis lors de colloques organisés par l’Inra, le Cirad et l’IRD le 7 juillet, ou par le Fonds international pour le développement de l’agriculture (Fida) le 8 juillet. J’ai interpellé les pays de l’OCDE le 21 septembre. L’inscription du programme 4 pour1000 à l’agenda des solutions de la COP21 est une nouvelle occasion de mobiliser des partenaires. Des partenaires scientifi ques de divers pays européens et mondiaux sont déjà mobilisés.