« En 20 ans, le lien entre agriculture et environnement a changé », Étienne Davodeau, auteur de BD

13 mars 2019 - Eloi Pailloux 
Dans la quarantaine d’albums de bandes dessinées signés d’Étienne Davodeau, deux évoquent directement l’agriculture. « Rural ! » (2001) et « Les ignorants » (2011) proposent de découvrir la plongée de l’auteur dans le quotidien d’un élevage puis d’un domaine viticole. Pour Campagnesetenvironnement.fr, l’auteur revient sur ces deux immersions en milieu agricole.

© JL Bertini pour Futuropolis

Campagnes et environnement : Quel est votre lien avec le secteur agricole ?

Étienne Davodeau : Je n’ai pas de lien familial direct avec l’agriculture. Mes parents étaient issus du milieu ouvrier, mais nous habitions à la campagne, dans le Maine-et-Loire. J’avais des copains enfants d’agriculteurs chez qui j’allais parfois. L’agriculture faisait partie de mon paysage, même si j’ai attendu la fin des années 1990 pour m’y intéresser en profondeur à travers un premier projet de livre, « Rural ! », sorti en 2001.

C&E : Quelles sont les origines de cet album ?

É.D. : « Rural ! » raconte le projet de trois jeunes agriculteurs associés, de convertir leur exploitation en bio. L’un des trois est un ami, un voisin. Je me souviens qu’à l’époque – les années 90 ne sont pourtant pas si loin -, cet objectif avait tout d’un défi. En parallèle, ces trois paysans ont appris qu’une autoroute allait couper leurs terres en deux. La collision de ces projets, totalement antagonistes en termes de philosophie, m’a semblé digne d’être racontée. Je me suis plongé dans leur quotidien pendant un an. La traite des vaches, les vêlages, les semis, la moisson… Puis, plus tard, je suis revenu vers ce milieu avec « Les ignorants », paru en 2011, mais cette fois dans le monde du vin.

© Éditions Delcourt, 2001-Davodeau

C&E : Pourquoi avoir choisi ce titre, « Les ignorants » ?

É.D. : Le livre raconte une initiation croisée. Je voulais découvrir ce qu’était la vie d’un domaine viticole en Anjou, et j’ai proposé à Richard Leroy, vigneron très connu, travaillant en bio, de s’intéresser à la bande dessinée qu’il ne connaissait pas. Nous habitions le même village, en vivant dans deux mondes très différents, que l’on s’est fait découvrir mutuellement. Cette symétrie « d’ignorance » a alimenté cette expérience durant les 18 mois que nous avons passés ensemble.

C&E : Qu’avez-vous découvert lors de ces deux immersions dans l’agriculture ?

É.D. : J’ai découvert des métiers et des gens passionnants. J’habite encore à la campagne aujourd’hui, et à l’heure où je vous réponds, à la nuit tombante, depuis mon atelier, je vois un vigneron qui travaille dans les vignes. Ce métier est beaucoup plus complexe que ce que l’on peut imaginer, il demande une grande attention, une acuité très poussée. Ce sont souvent des gens très fins. On pourrait considérer une bouteille de vin comme rien d’autre que 75 cl de raisin fermenté. Mais ça peut être beaucoup plus. Il y a derrière cette bouteille un rapport au sol, à la météo, à la plante, à la gastronomie, tout le savoir-faire d’un être humain en lien avec la nature… Et nous sommes là au centre d’enjeux très forts : nourrir les gens, tout en préservant les ressources de notre planète.

© Futuropolis, 2011-Davodeau

C&E : Vos deux projets vous ont-ils permis de mieux appréhender ce lien entre agriculture et environnement ?

É.D. : Près de 20 ans après « Rural ! », le lien entre agriculture et environnement a changé, fondamentalement. C’est en tout cas ce que j’ai constaté. En 2000, la conversion bio générait du scepticisme, des questions, c’était une aventure. Le Gaec du Kozon où j’ai travaillé était en quelque sorte précurseur. En 2010, ça avait déjà une dimension d’évidence. Le chapitre consacré au bio dans « Les ignorants » est très court. Pour Richard Leroy, il n’y avait pas à apporter d’explication. Il nous dit « c’est à ceux qui ne sont pas en bio de justifier leur choix ».

C&E : Envisagez-vous un nouvel album sur le milieu agricole ?

É.D. : Ce n’est pas dans mes projets. Je ne veux pas me répéter, et je n’envisage pas de suite à ces deux livres qui me semblent cohérents ainsi, j’aurais peur de les « abîmer » en en rajoutant. Mais j’ai prévu de continuer d’évoquer des enjeux plus globaux liés à l’environnement, à notre rapport avec notre planète, qui sont, plus que jamais, des sujets fondamentaux. « Rural ! » et « Les ignorants » m’ont permis de d’aborder ce type de question de fond avec un angle précis, tout en mettant en lumière des réalités que beaucoup ont perdu de vue : ce n’est pas le supermarché qui nous fournit notre nourriture quotidienne, mais la planète, son sol et les gens qui y travaillent.

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