« On dit que le premier métier des spationautes sera agriculteur, puisqu’il devra se nourrir », déclare Sylvain Pluchon, directeur R&D nutrition végétale chez Timac Agro France, spécialiste de la fertilisation. Alors que les missions spatiales s’allongent, avec le projet de poser un pied sur Mars d’ici à 2040, la question de l’autonomie alimentaire est vitale. Dans le cadre du programme SpaceShip FR, visant à améliorer le quotidien des spationautes en mission, le Centre national d’études spatiales (Cnes) a annoncé le lancement du projet Vroom, le 22 juin 2023, en collaboration avec Timac Agro France. La mission ? Concevoir un dispositif permettant de cultiver des légumineuses sur la Lune et sur Mars. Source de protéines, cette culture semble être le candidat idéal pour combler les besoins nutritionnels des spationautes. « La consommation de 300 à 500g de légumineuses par jour permettrait de couvrir 100 % des apports en protéines, lipides et glucides » indiquent le Cnes et Timac Agro France dans leur communiqué de presse diffusé en juin dernier.
Une production autonome et économe
Absence d’atmosphère, de gravité, de terre, d’eau. De prime abord, la Lune et Mars ne sont pas les lieux les plus adaptés à une production agricole. Un contexte insolite qui a représenté un véritable défi pour l’équipe de chercheurs. « Nous nous devons de générer une grande rupture technologique », affirme Sylvain Pluchon. Tout est à construire, mais pas n’importe comment. Les ressources étant limitées, il faut penser sobriété. Le dispositif dans lequel les légumineuses poussent se veut entièrement optimisé. Les racines se développeront dans une spire à base de matières biosourcées et de régolithe, qui est la couche de poussière située en surface des planètes dénuées d’atmosphère, et donc naturellement présente sur la Lune et sur Mars. De cette façon, les spationautes pourront directement construire l’objet sur place, grâce à une imprimante 3D. Cette structure en spirale d’une hauteur de 10 centimètres peut abriter jusqu’à 1 mètre de racine. « Nous nous sommes inspirés de la structure de l’ADN pour déterminer une forme extrêmement compacte », explique Sylvain Pluchon. Les racines seront parcourues par un fluide composé d’eau et de nutriments. Cette technologie permet une absorption directe des éléments nutritifs par la plante, et donc de lui en administrer seulement la quantité nécessaire. Pour mesurer les économies d’eau et d’énergie que permet cette méthode, Sylvain Pluchon fait un parallèle avec l’hydroponie, technologie qui avait été utilisée pour produire des salades sur la Station spatiale internationale (ISS), de 2014 à 2016. « Nous consommerons 10 fois moins d’eau et 30 fois moins d’électricité, puisque l’hydroponie implique aussi l’utilisation de pompes pour oxygéner les racines immergées : ici, elles restent en contact avec l’atmosphère », explique-t-il.
Garder les pieds sur Terre
Le changement climatique fait de notre planète un milieu, lui-aussi, de plus en plus hostile au développement du vivant. A l’heure où l’épuisement des ressources, notamment aquatiques, fragilise la production agricole, ces recherches pour une agriculture moins consommatrice et plus résiliente s’alignent également avec les enjeux de l’agriculture terrestre. « Ces nouvelles technologies seront une grande avancée pour la culture sur Terre, et permettra d’agir à court terme sur la quantité, la qualité et la régularité de la production », avance Sylvain Pluchon.
Les premières expérimentations grandeur nature se dérouleront en 2024, au Cnes de Toulouse. Un démonstrateur spécialement conçu pour l’occasion sera visible par le grand public, à la découverte du métier d’ « agri-spationaute ».
*Vegetables and roots on moon (des légumes et des racines sur la Lune)